Lecture gratuite : le prologue d'Aila et la Magie des Fées de Catherine Boullery
La saga d'Aila  fantasy


fantasy

Note : 4.6 / 5 avec 284  critiques

Le prologue d'Aila et la Magie des Fées en lecture gratuite

Toutes les histoires ne commencent pas de la même façon, sauf les contes de fées, alors…

Il était une fois le pays d'Avotour où il faisait bon vivre. Bordée à l'ouest par la montagne et bercée à l'est par la mer, cette contrée bénie reflétait un juste équilibre en toutes choses : le chaud et le froid, les plaines et les vallons, les prés et les forêts. La légende racontait que, pendant des siècles, les fées y avaient vécu en harmonie avec les hommes, et cette entente aurait pu durer pour l'éternité grâce au respect d'une seule et unique règle : l'amour entre une fée et un homme ne pouvait exister. Malheureusement, ce qui était défendu arriva : un regard suffit à deux êtres égarés pour s'aimer et transgresser l'interdit absolu. Fées, familles et amis cherchèrent à les séparer, mais sans aucun succès. Les amants connaissaient pourtant la fin terrible qui les attendait, le corps de l'un distillant un poison à l'autre, mais ils la préférèrent à une vie où ils ne seraient plus unis. Isolés, désavoués, ils finirent par s'enfuir, quittant leur pays pour un lieu lointain et perdu où, de leur amour illicite, naquirent des jumeaux. Conscients de leur condamnation par le mal qui les rongeait de l'intérieur et empirait chaque jour, alors, tant qu'ils le pouvaient encore, ils embrassèrent leurs descendants une dernière fois, les confièrent à la Terre, puis, main dans la main, avancèrent dans l'eau d'un lac noir pour y mourir ensemble. Ainsi s'acheva cet amour interdit. Mais se doutaient-ils qu'ils venaient de bouleverser l'avenir de façon irréversible ?

Les fées et les hommes d'Avotour, qui les recherchaient depuis leur fuite, ne retrouvèrent que leurs corps sans vie, au fond du lac, enlacés à tout jamais. D'une pensée, les fées cristallisèrent les deux amants en hommage à leur passion, en dépit de la folie dont elle était empreinte, pour que jamais un tel drame ne se reproduisît entre les deux peuples. Des bébés, personne ne trouva trace ; ce fut comme s'ils n'étaient jamais nés. Peut-être étaient-ils finalement morts du même mal que leurs parents…

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À la suite de ce triste événement, au pays d'Avotour, il fut conté qu'hommes et fées prirent une grave décision : elles continueraient à vivre près d'eux pour les protéger, mais deviendraient invisibles à leurs yeux, évitant ainsi toute nouvelle tentation. Il fut également dit qu'un jour les fées reviendraient parmi les hommes afin de sauver le monde quand elles auraient donné leur pouvoir en héritage à un être humain.

Et la vie poursuivit sa course, insensible à cette douloureuse séparation… En Avotour, les fées avaient disparu depuis trop longtemps et ses habitants avaient fini par oublier tout le bien qu'ils leur devaient. D'elles ne restèrent que des légendes infinies, de celles que les troubadours contaient dans les auberges ou sur les places publiques, dans le silence curieux et recueilli de la population. Ainsi, le temps effaça tout souvenir des mémoires et seuls quelques rares exaltés continuèrent à croire en leur existence. Comme le symbole d'une époque révolue, elles n'apparurent plus que dans la devise du royaume : « Pays des fées, Avotour fut, est et sera » et dans quelques expressions populaires.

Alors qu'un terrible danger étendait son ombre sur la Terre, sous la forme de mille tentacules d'une noirceur effarante, notre histoire commença : celle d'une jeune fille comme les autres, ou presque, mais que quelqu'un, quelque part, avait retenue pour un destin exceptionnel. La journée se terminait et Aila était assise sur une pierre. Elle était assez grande pour son âge et ses cheveux noirs, nattés en une longue tresse, tombaient dans son dos, tandis que des larmes bordaient ses yeux aux pupilles sombres. Du haut de ses seize ans, elle portait sur ses épaules un fardeau bien trop lourd pour une si jeune demoiselle. Comment avait-elle réussi l'exploit de naître en perdant tout ? Et comment pourrait-elle réparer le tort qui lui avait été causé ? Être la fille d'un des combattants les plus valeureux du royaume d'Avotour et ne pas exister à ses yeux constituaient sa triste réalité… Son père, Barou Grand, était un géant à la barbe rousse et au regard bleu, un homme aussi haut que large, animé par une force herculéenne. Vingt ans auparavant, un petit groupe de Hagans, barbares sanguinaires d'un pays frontalier prêts à les envahir, attaqua le carrosse qui transportait Mélinda, la châtelaine d'Antan — un comté d'Avotour — et sa dame de compagnie, Efée. Le hasard décida que Barou, qui passait par là juste entouré d'une poignée de compagnons, les avait secourues. À neuf contre vingt, ce colosse trucida à lui seul dix guerriers hagans sous les regards épouvantés, mais émerveillés de ces dames, alors qu'il ne voyait que les yeux noirs et brillants de l'une d'entre elles, une jeune femme brune au sourire enchanteur. Après les avoir mises en sécurité, il remporta les combats déterminants des dernières grandes batailles qui sauvèrent Avotour. Les hommes qui combattaient à ses côtés l'auraient suivi les yeux fermés, même dans la mort, tandis que sa valeur et son courage devenaient les plus beaux symboles du pays. L'histoire retint que l'amour porta le futur grand héros à vaincre les Hagans, qui se tenaient tranquilles depuis cette victoire. Il ne lui resta plus ensuite qu'à gagner le cœur de la demoiselle aux prunelles sombres.

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Honoré pour ses exploits par le roi et Avotour, il reçut en récompense un titre et un manoir qu'au lieu d'occuper il mit en fermage pour partir s'installer à Antan et courtiser Efée. Cette dernière ne tarda pas à succomber, avec grâce, à cette cour discrète et attachante, puis à l'épouser six mois plus tard avec la bénédiction des châtelains du comté, Elieu et Mélinda. Ils demeurèrent au château où Barou fut nommé maître d'armes, pour la plus grande fierté de tous ses habitants. Sa célébrité attira de jeunes seigneurs en quête de reconnaissance, amenant le héros à créer une école destinée à les former. Petit à petit, un immense terrain d'entraînement fut érigé à Antan, qui s'enrichit par la suite d'un manège, puis d'un champ de courses, afin de satisfaire tous les besoins. Comme quoi il fallait peu de choses pour que le bonheur devînt réalité… Quelle fille ne serait pas fière d'avoir un père comme celui-ci ?

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Aujourd'hui, sa vie semblait sans avenir à Aila. Et pourtant, tout aurait pu devenir tellement merveilleux : enfant désiré, enfin, en apparence, une mère dévouée et adorable, un père impatient de chérir son héritier qui fut, de fait, une héritière… Et là, tout bascula : à l'instant où il découvrit qu'elle n'était qu'une fille, Aila disparut de son existence comme si elle n'était jamais née. Sur le moment, Efée, fatiguée par l'accouchement, n'avait pas compris à quel point la cassure se révélait irrémédiable. Elle avait fait de son mieux, par la suite, pour entourer son enfant d'amour, espérant ainsi compenser l'attitude déconcertante de son mari. Autour d'elle, elle avait sollicité toutes les personnes qu'elle appréciait pour protéger sa fille, déniée par son père. Mélinda, la châtelaine d'Antan, la prit régulièrement avec ses enfants, comme un des siens. Hamelin, le mage du château, devint son précepteur. Lui qui ne s'intéressait à rien d'autre qu'à ses grimoires avait été séduit par ce bébé. Séduit était-il le terme approprié ? Interloqué ? Fasciné ? Toujours était-il que ce fut probablement la seule fois de sa vie où il vint tapoter avec douceur la tête d'un nouveau-né, le regard empreint d'une gravité soudaine. Et, surtout, il y eut Bonneau, son oncle, le frère de son père qui, jour après jour, prit sa petite nièce un peu plus à l'abri de son aile.

Efée, partagée entre deux amours, ne comprenait pas comment Barou pouvait se conduire en mari enflammé, tendre et prévenant, alors que, simultanément, il affichait une indifférence insoutenable dès qu'il s'agissait de sa fille. Tandis qu'elle se remettait péniblement de la naissance, elle percevait le déchirement que représentait pour son époux l'absence d'héritier mâle. Loumie, l'accoucheuse d'âmes, lui avait, avec la plus grande fermeté, déconseillé une autre grossesse, mais Efée y songeait pour rétablir l'équilibre qui avait disparu dans sa vie. Elle voulait une famille, une vraie, avec un père pour ses enfants. Que s'était-il donc passé dans la tête de cet homme, droit et honnête, pour en arriver à rejeter son unique fille ? Essayant une nouvelle fois d'en découvrir la raison, elle avait poussé suffisamment loin la discussion pour que Barou bloquât définitivement toute tentative d'en parler plus avant. Elle ne l'avait jamais vu dans cet état, animé d'une colère glaciale et tranchante, incontournable, insurmontable. Alors, une bonne année après la naissance d'Aila, malgré les réticences de son mari et l'opposition farouche de Loumie, elle tomba de nouveau enceinte, l'espoir vibrant au fond de son cœur de tout réparer en accouchant enfin d'un garçon.

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La vie quotidienne d'Efée s'était naturellement divisée en deux. Quand le soir venait, elle confiait sa fille à son oncle, tandis que, dans la journée, elle s'en occupait pendant que son époux assurait son rôle de maître d'armes. Il était son champion et excellait dans tous les types de combats. Aucune arme blanche ne recelait de secrets pour lui et il était un combattant à mains nues hors pair. Vénéré par ses élèves, respecté par ses pairs, ce héros n'attendait qu'un fils pour marcher dans ses traces. Efée le savait, elle lui donnerait ce garçon tant espéré ! Après, tout irait mieux. Au fur et à mesure que sa grossesse avançait, elle se sentait de plus en plus épuisée et Loumie, inquiète, lui rendait visite fréquemment pour évaluer son état. Quand la future mère ne réussit plus à se lever, Mélinda vint prendre de ses nouvelles chaque jour, récupérant Aila pour la ramener parmi ses enfants. Bonneau, lui aussi très présent, soulageait Efée : il emmenait la petite fille s'occuper des chevaux en la fixant sur son dos avec une pièce en cuir qu'il nouait sur sa poitrine. Cette façon de procéder fit sourire tous ceux qui le croisèrent, mais personne ne s'en moqua. Tous respectaient cet oncle qui se comportait mieux qu'un père.

Bonneau, frère de Barou, ne lui ressemblait pas. Certes grand, il n'avait rien d'un colosse. Il avait hérité d'une teinte de cheveux plus sombre que celle de son frère et d'une carrure plus modeste qui ne l'empêchait pas de l'égaler en force. Comme lui, il avait développé une agilité extraordinaire, doublée d'un impressionnant sens de l'équilibre. En sa compagnie, une des premières chutes d'Aila se termina dans un magnifique tas de fumier bien frais, au profond désespoir de l'oncle. Cependant, il se débrouilla tout seul pour la nettoyer des pieds à la tête et la rendit à sa mère propre comme un sequin neuf… Quand l'histoire, qui circula autour du château, revint aux oreilles d'Efée, elle commença par sourire avant d'éclater de rire. Elle eut l'intime conviction que sa solution de rechange était la bonne et que Bonneau deviendrait l'homme de la situation. Sa détermination à protéger Aila s'en trouva alors renforcée.

Quand arriva le moment de la naissance, Aila venait de fêter ses deux ans et demi. En digne futur père, Barou se précipita au chevet de sa femme et ne la quitta plus, malgré Loumie qui ne cessait de le houspiller. Par les fées, un homme n'avait rien à faire là ! Mais, bon gré, mal gré, elle fut bien obligée de tolérer sa présence, car il voulait rester à tout prix. Enfin, le fils tant attendu naquit et le couple savoura un bonheur inoubliable. Barou resplendissait et Efée sentit l'espoir renaître en elle avec l'arrivée de ce petit garçon. Pour sa part, Loumie se montrait plus taciturne que jamais. Cependant, comblés, les nouveaux parents ne prêtèrent aucune attention à son mutisme marqué.

En une seule nuit, Efée perdit toutes ses illusions ; la naissance d'Aubin n'avait rien changé à l'attitude dédaigneuse de Barou envers sa fille qui ne représentait pas plus aujourd'hui qu'hier, et elle en ressentit un désespoir profond. Elle adorait son mari, mais sa réaction créait une blessure insupportable dans son existence qu'il ne paraissait ni entendre, ni comprendre. Elle se sentait si fragile qu'elle décida que, dès maintenant, elle devait agir pour le bien d'Aila. Malgré sa faiblesse, elle écrivit plusieurs lettres, ses enfants à ses côtés, pour profiter de leur présence tant qu'elle le pouvait encore. Toute à son projet, elle reçut Mélinda, puis Bonneau et, enfin, Hamelin. Le déclin de ses forces ne l'empêcha pas de passer avec chacun beaucoup de temps à convaincre et planifier. Son élocution devenait difficile, sa respiration hachée, mais elle se devait d'achever sa démarche : l'avenir de sa fille était en jeu. Au désespoir de voir l'état de la dame de son cœur se dégrader chaque jour davantage, Barou désertait ses heures d'entraînement pour être à ses côtés. Personne n'aurait songé à lui en adresser le moindre reproche, tant leur amour était cité en exemple en Avotour. Pour éviter des croisements critiques, Efée avait chargé Loumie, si présente auprès d'elle, d'escamoter Aila avant chacune des arrivées de son père. Une paix apparente au sein du foyer fut ainsi préservée…

Efée augurait sa mort proche, c'était juste une question d'heures… Elle avait réalisé tout ce qu'elle pouvait pour Aila, mais son cœur n'en battait pas avec plus de légèreté pour autant, car elle abandonnerait son mari, ses enfants, dont sa fille qui avait tant besoin de sa tendresse. Comment Aila, qu'elle chérissait, arriverait-elle à grandir en force et en confiance malgré l'ombre de Barou ? Quand la vie ne tint plus qu'à un souffle dans sa poitrine, Efée jeta un dernier regard vers l'homme qu'elle avait aimé plus qu'elle-même, sa main posée sur la sienne, sourit à Aubin que Barou berçait dans ses bras, et pressa contre elle une poupée de chiffon, cachée sous les couvertures, symbole de l'amour qu'elle éprouvait pour sa fille. Soudain, sa lumière intérieure s'éteignit, plongeant le cœur de ceux qui l'estimaient dans de profondes ténèbres…

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Le château porta son deuil, tandis que la douleur terrassait ce géant de Barou, avec cruauté. Cependant, entouré par ses amis et serrant son fils contre lui, il décida de poursuivre sa route pour son enfant, dans la mémoire de sa merveilleuse femme.

Définitivement chassée de l'habitation familiale, Aila s'installa chez Bonneau, dans la maisonnette attenante aux écuries. Elle essayait de comprendre avec son cœur de petite fille de presque trois ans où était passée sa maman, pourquoi elle avait un frère avec lequel elle ne vivait pas et un père qui ne la regardait jamais. Comme elle ne trouva aucune réponse, elle se renferma sur elle-même et cessa de parler. Pourtant, son oncle se dévoua pour sa nièce, mettant tout en œuvre pour qu'elle se sentît chez elle. Dans son unique pièce, il lui aménagea une chambre, séparée de la partie commune grâce au paravent offert par Mélinda. Pour la meubler, il lui donna son lit et son armoire. Ensuite, après avoir percé un trou dans le plafond, il se créa un minuscule endroit dans les combles pour y dormir, accessible par une échelle. Chaque jour, il prenait soin d'elle comme s'il s'agissait de sa propre fille, la nourrissait, l'habillait, la sortait. Elle l'accompagnait lorsqu'il s'occupait des chevaux ou qu'il s'entraînait au kenda, un bâton de combat peu répandu comme arme au royaume d'Avotour. Il passait ainsi des heures le soir à répéter inlassablement des figures qu'il réalisait même en chevauchant, sous le regard attentif d'Aila qui ne se plaignait jamais. De fait, elle n'en perdait pas une miette, enfin, quand elle ne s'endormait pas à même le sol, vaincue par la fatigue. Il lui apprit à monter à cheval, à les dresser et à les soigner. Il lui enseigna les herbes, les mélanges, les massages et, sans un mot, elle retenait et reproduisait.

Hamelin, le mage, éprouva plus de difficultés pour s'habituer à donner des cours à une enfant qui demeurait silencieuse pendant l'apprentissage de la lecture. Cependant, quand elle levait ses grands yeux, aussi noirs que ceux de sa mère, où brillait cette immense lueur d'intelligence, il savait que son mutisme ne l'empêchait pas de comprendre. Alors, il continuait ses leçons comme si de rien n'était. Il vérifiait de temps à autre ce que signifiait son regard avant de poursuivre ou de recommencer. Elle apprit très vite à écrire et à calculer. Il lui donna des livres à lire pour une semaine qu'elle lui rapportait le lendemain ou le surlendemain. S'il fut plus que surpris de sa rapidité à déchiffrer et à acquérir tout concept, il en accepta l'idée et lui offrit son enseignement avec enthousiasme. Lui, que les enfants agaçaient passablement avec leurs intarissables bavardages et leur aptitude prononcée à ouvrir la bouche pour brasser de l'air, se trouvait plus qu'heureux de cette petite fille qui se taisait… Il décida de partager tout son savoir et entreprit de lui inculquer ses connaissances sur les plantes, l'anatomie, les langues des différents pays voisins, l'histoire, les sciences, les lois et tant d'autres notions et expériences qui le passionnaient. Impassible, elle le suivit dans les dédales de son érudition, même, lorsqu'emporté par un sujet, il sautait du coq à l'âne.

En dépit de son silence, Aila était acceptée de tous et aussi appréciée ; elle grandissait, serviable et agréable, malgré de rares sourires… Tout en le regrettant, chacun mettait son mutisme sur le compte de toutes les épreuves qu'elle avait traversées. Seuls les élèves de son père la rejetaient sans sourciller. Ils avaient choisi leur camp, celui de Barou et, si leur maître ne voulait pas d'elle, c'était qu'elle n'en valait pas la peine ! Il ne fallait pas qu'elle approchât la zone d'entraînement de trop près : elle y recevait railleries et quolibets auxquels elle ne pouvait répondre. Mais c'était plus fort qu'elle. Elle cherchait à entrevoir son père, ce héros, et à voir grandir Aubin qui ne quittait pas son géniteur d'une semelle. Il se comportait comme son ombre, mais en plus petit… Si son frère faisait de son mieux pour imiter Barou, Aila, rien qu'en le regardant, était persuadée qu'il n'en révélerait jamais le même talent. D'où tenait-elle cette certitude ? Elle l'ignorait, mais, pour elle, Aubin ne manifestait pas cette énergie rayonnante que dévoilait l'âme des grands…

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Tome ➀ - Aila et la Magie des Fées Tome ➁ - La Tribu Libre Tome ➂ - L'Oracle de Tennesse Tome ➃ - La Dame Blanche Tome ➄ - La Porte des Temps Tome ➅ - Une Vie, voire Deux Tome ➆ - Un Éternel Recommencement Tome ➇ - L'Ultime Renoncement ➀ à ➃ - La Première Époque ➄ à ➇ - La Deuxième Époque Tous les tomes de la saga de fantasy La romancière Catherine Boullery #fantasy


Extrait gratuit d'un des livres de la saga d'Aila offert par Catherine Boullery, auteure de fantasy (autres passages sur Amazon). Excellente lecture ;)

Le repas terminé, Aila suivit Orian à sa demande jusqu’à son appartement. En entrant, elle nota la présence de deux escaliers droits qui s’élançaient de chaque côté de la pièce, l’un probablement vers une des tours et sa chambre, l’autre vers un étage supérieur qui devait conduire dans le château même et non dans ses annexes. Elle y imagina une gigantesque bibliothèque, remplie de livres anciens à ne pas mettre entre toutes les mains… Il la pria de s’asseoir, avant lui-même de prendre place dans un grand et large fauteuil confortable. Ainsi installée, son regard se fixa sur le mage et elle ne put s’empêcher d’être impressionnée par l’homme. Il dégageait une véritable aura de sagesse. « Vénérable », voici le premier mot qui lui vint à l’esprit. Il rendait hommage à la sagacité qu’elle devinait ainsi qu’à l’autorité naturelle qui émanait de lui. Elle imaginait la finesse de son raisonnement, l’agilité de son esprit et sa perspicacité derrière les yeux perçants qu’il fixait sur elle sans sourciller. Plaçant ses mains sous son menton, Orian laissa le silence s’étirer, mais Aila ne bougea pas, attendant la suite. Elle se doutait que celui qui s’exprimerait le premier aurait perdu la première manche. Ainsi, ce fut le mage qui choisit de renoncer.
— Intéressant… Personnellement, je ne connais pas de meilleur moyen de faire parler les gens qu’en se taisant en face d’eux. Cependant, je vois que le silence ne vous effraie pas, réaction assez rare chez une personne aussi jeune que vous. Passons aux sujets que je veux aborder. Le roi m’a confié que vous rencontriez les fées. Pourriez-vous avoir la gentillesse de me conter toute votre histoire avec elles ?
Aila marqua son étonnement par un léger froncement de sourcils. Qu’arrivait-il à Orian pour se montrer si poli, alors qu’il aurait simplement pu ordonner ? Malgré sa surprise, elle s’exécuta de bonne grâce. Elle raconta qu’elle possédait un livre qui faisait office de passerelle pour leur monde, mais qu’il ne fonctionnait apparemment qu’avec elle, que ses amies se savaient condamnées et qu’elles escomptaient, en protégeant Aila, que cette dernière les mènerait à l’héritière à qui elles feraient don de leurs pouvoirs. En attendant, elles partageaient leur magie, ce qui conférait à Aila des talents supplémentaires et inespérés sur le corps, la terre, l’eau, le vent… Le mage écoutait avec concentration. Il ne la coupa pas une seule fois et patienta jusqu’à la fin de son résumé.
— Quelles fées rencontrez-vous ?
— Elles sont huit : Amylis, Errys, Tétys, Lysaille, Fylis, Oulys, Myle et Blysse. Je crois que beaucoup d’autres reposent dorénavant dans leur sanctuaire et que les pouvoirs qu’elles possédaient ont disparu avec elles, si j’ai bien compris.
Aila eut l’impression de voir briller un peu plus les yeux d’Orian, tandis qu’une grande tristesse les voilait.
— Par les fées, elles ne sont plus que huit… Combien de temps leur reste-t-il ?
— Je l’ignore, mais chaque fois que j’utilise leur magie, je les affaiblis un peu plus…
Les épaules de l’homme s’affaissèrent un peu et elle lut dans son regard un tel désarroi qu’elle s’en inquiéta.
— Que se passe-t-il, mage Orian, pour que vous soyez si bouleversé ?
— Quelle tristesse de voir ces êtres aussi extraordinaires se retirer du monde à jamais…
— Elles ont quitté nos vies depuis déjà fort longtemps…
Aila s’interrompit un instant avant de reprendre :
— Mais peut-être pas la vôtre… Quelle histoire avez-vous donc vécue avec elles ?
Il ne répondit pas.
— Avant mon départ d’Antan, Hamelin m’a dit que s’il avait pu partager ce qu’il savait, plus personne ne douterait de l’existence des fées. Que possèdent les mages qu’ignore le commun des mortels ?
Orian resta silencieux, la regardant avec intensité. Elle cherchait à déchiffrer ce que son expression cachait, sans y parvenir. Tenace, elle poursuivit son raisonnement :
— Je me souviens d’avoir lu un livre très mince qui s’était glissé par inadvertance dans un ouvrage qu’Hamelin m’avait prêté. Il a paru contrarié de le découvrir dans celui que je lui rendais. Il m’a demandé si je l’avais parcouru, j’ai répondu par l’affirmative, puis il n’y a plus jamais fait référence. C’est si loin, mais il me semble qu’il était question du pouvoir des mages…
Aila replongeait dans ses souvenirs si anciens. Elle devait avoir une dizaine d’années et ne parlait toujours pas. Que disait donc ce maudit ouvrage ? Elle n’arrivait pas à retrouver son titre. Voyons. Elle ferma les yeux pour intensifier sa concentration. Si ! C’était « L’héritage des fées » ! Incroyable, elle avait lu cela comme un livre de contes, alors qu’il décrivait la réalité ! Elle regarda le mage, bien décidée à en savoir plus.
— Vous êtes leurs héritiers ! Malgré ce que l’on raconte, quand les fées nous ont quittés, elles ne sont pas parties en laissant les êtres humains complètement seuls. Elles en ont choisi quelques-uns qui, transformés en mages, ont reçu en héritage leurs pouvoirs… De ce fait, ce n’était plus elles qui nous protégeaient de toutes les catastrophes, mais vous !
Il ne bougeait pas. Étrangement chez cet homme si sûr de lui, Aila percevait une forme d’indécision. Il apparaissait même plongé dans la plus grande des confusions. Une idée dérangeante naquit dans la tête de la jeune fille.
— Alors, les fées m’ont menti ! Mais pourquoi ?
Aila eut la sensation qu’un nouveau pan de sa vie s’écroulait, un de ceux, qui en s’effondrant, bouleversait son existence à jamais.
— Non ! Elles ne vous ont pas trompée ! Comme nous, elles sont tenues au secret ! s’exclama-t-il, avant de se taire.
Aila saisit qu’il ne pouvait en dire davantage. Mais elle voulait savoir ! Elle désirait comprendre ce grand mystère qui liait les mages aux fées. Elle tenta de calmer son excitation pour réfléchir plus posément.
— Admettons que je vous raconte une histoire. Si vous ne dites rien quand elle prend la bonne route ou si vous secouez juste la tête lorsqu’elle s’égare, trahiriez-vous votre serment ?
Orian s’accorda le temps de la réflexion.
— Je ne le crois pas.
— Bon, je me lance. Lors de leur disparition de notre monde, les fées, alors en pleine possession de leurs pouvoirs, aimaient tellement les êtres humains qu’elles ne se sont pas résolues à les laisser d’un seul coup sans protection et ont choisi quelques-uns d’entre eux à qui elles ont transmis leur magie, les mages. Si je me souviens bien de cette histoire dans le livre d’Hamelin, ils bénéficièrent pendant des siècles de pouvoirs extraordinaires, mais personne ne le savait. Ce qui signifie que seul le pouvoir des fées a survécu sur Terre. En fait, ce ne sont plus elles qui ont aidé les hommes, mais leurs représentants dotés de leur puissance… Pourtant, je suis sûre que vous les avez rencontrées !
Aila cherchait à résoudre ce mystère. Orian avait dit qu’elles n’étaient plus que huit, donc elles avaient été plus nombreuses et certaines d’entre elles avaient déjà disparu avant de partager leur pouvoir avec elle. Comment organiser tous ces faits sans se tromper ?
— Peut-être trouvaient-elles encore les mages à partir de leur monde ?
Imperceptiblement, Orian secoua la tête.
— À moins que ce ne soit eux qui choisissaient ceux qui allaient les remplacer !
Aucun mouvement du côté de son interlocuteur. Toute à ses déductions, elle poursuivit :
— Comment un mage en forme-t-il un autre ? Il le prend jeune. Il doit être capable de discerner chez lui les aptitudes nécessaires pour devenir un successeur convenable : la générosité, l’intelligence, l’altruisme et une ouverture certaine à la magie des fées. Ils n’ont aucun droit à l’erreur. Il est vrai que les fées leur ont peut-être donné cette capacité de sélectionner la personne idéale…
Aila ne quittait pas des yeux le mage. D’une immobilité parfaite, il avait calé sa main sous son menton. Elle ne le voyait même pas cligner des yeux, une véritable statue. Elle guettait le moindre cillement qui lui indiquait qu’elle faisait fausse route dans son raisonnement. Tandis que les idées se bousculaient dans sa tête, la solution ne lui apparaissait pas encore clairement. Elle enchaîna :
— Une mauvaise sélection pourrait transformer un mage en… Par les fées ! Un mauvais mage deviendrait un sorcier ! Donc, les sorciers n’existaient pas avant la disparition des fées ! Ils ne sont que le résultat d’erreurs de choix que les mages n’ont pas pu réparer !
Elle était estomaquée. Sur le point d’émettre un jugement critique à l’encontre de ces mages inaptes, elle vit briller les yeux d’Orian un peu plus. Anéantie par ses découvertes, elle retint ses mots, le cœur serré. Si le royaume du Tancral envahissait Avotour et le reste du monde grâce à leurs sorciers, ce serait parce qu’un jour un mage avait mal recruté son successeur… Enfin, tout cela n’expliquait pas quand et comment il avait rencontré les fées. Elle rebondit sur les principales informations.
— Reprenons. Il transmet son savoir à l’héritier qu’il a adopté. Avec un peu de chance, une tradition orale, qui n’apparaît nulle part, se perpétue et une connaissance livresque est conservée dans une bibliothèque cachée de tous.
Orian leva un sourcil et ses yeux se déportèrent brièvement vers l’escalier qui menait à l’étage supérieur. Le cœur d’Aila se gonfla de satisfaction, sa déduction à propos de la bibliothèque au-dessus était juste.
— Ensuite, une fois sûr de la fiabilité de son disciple, il lui transmettait le pouvoir des fées en héritage.
Un léger mouvement d’Orian stoppa Aila. Mauvaise piste… Le mage ne pouvait donc pas le transférer lui-même. Alors si ce n’était pas lui, cela ne pouvait provenir que des fées ! Bien sûr, les pièces s’ajustaient tout d’un coup !
— Il devait exister une forme d’intronisation où le mage emmenait son remplaçant à la rencontre des fées pour qu’elles lui offrent leurs pouvoirs ! Et ainsi de suite ! Génération après génération, les mages contactaient donc les fées deux fois dans leur vie : une première quand ils devenaient mages à part entière en recevant leurs pouvoirs et une seconde lorsqu’ils accompagnaient un nouvel héritier afin qu’il soit officiellement investi…
Elle s’arrêta à nouveau, stupéfaite par ce qu’elle réalisait.
— Je suppose que lorsque le pouvoir des fées a commencé à s’affaiblir, le vôtre a suivi. Désormais, vous ne disposez plus d’aucun pouvoir ou presque.
Dans ce silence d’Orian, lourd de signification, le cœur d’Aila battait en accéléré. Elle poussa la réflexion encore plus loin, sa consternation augmentant à chaque pas qu’elle franchissait vers la vérité.
— Vous ignoriez qu’elles n’étaient plus que huit… Cela démontre que vous ne les avez pas vues depuis fort longtemps et que, comme vous n’y êtes pas retourné, cela prouve que vous n’avez pas trouvé un héritier pour vous remplacer…
Il soupira profondément.
— Oh ! non ! Comme pour les fées, votre magie est en train de disparaître… Je suppose que vous devez détenir un livre comme celui qu’Hamelin m’a donné qui vous servait de portail pour rejoindre les fées, mais qu’il ne fonctionne plus pour vous, comme c’était le cas pour notre mage. Pour Hamelin, cela a dû provoquer une surprise de taille quand il a remarqué que je réagissais à son ouvrage et que j’étais passé avec succès de l’autre côté de la couverture… Mais pourquoi moi ?
Il haussa les épaules et prit enfin la parole, après son silence prolongé :
— Je ne sais pas pourquoi vous avez réussi, mais vous m’en voyez profondément heureux.
— Ainsi, vous n’avez jamais trouvé de remplaçant pour vous…
Elle vit comme un léger mouvement de la part d’Orian.
— Si ! Mais comme vous n’avez pas pu retourner à la rencontre des fées, il n’a pas été intronisé comme mage… Dernière supposition : si nous avons douze comtés et donc douze mages, il devait y avoir douze fées à l’origine, cela signifie que quatre d’entre elles ont disparu définitivement. Lesquelles ? Et puis pourquoi m’a-t-il semblé en apercevoir tant d’autres dans la grotte ?
Orian se taisait de nouveau. Elle se frotta le visage, s’efforçant d’intégrer tout ce qu’elle venait de comprendre. Cependant, elle avait du mal à tirer toutes les conséquences possibles de ses découvertes.
— Récapitulons : j’ai réussi à rentrer en contact avec les fées, mais je ne sais pas pourquoi. Hamelin m’a touché un mot sur une probable descendance avec les amants interdits, ce qui signifierait que du sang de fée coule dans mes veines, qu’en pensez-vous ?
— Je l’ignore, mais cette hypothèse mériterait que l’on s’y attarde.
Elle songea au cadeau que lui avait offert Hamelin sur la véritable histoire d’Eery et Amien. Elle ne l’avait pas encore parcouru. À sa décharge, il fallait dire que sa vie ne cessait d’être animée et, quand elle ne l’était pas, elle débordait d’autres activités, en permanence. Que lui avait-il conseillé déjà ? Ah ! oui, de lire entre les lignes ! Il devenait absolument nécessaire qu’elle l’ouvrît.
— Est-ce que la légende reflète la réalité à propos de l’histoire des amants interdits ?
Il secoua la tête. Elle allait devoir se creuser davantage les méninges pour démêler le vrai du faux. Tout cela cachait quelque chose d’encore plus gros, elle le pressentait et poursuivit :
— Ensuite, des mages renégats se sont métamorphosés en sorciers. En violant les règles des mages, leurs pouvoirs ont pris une forme maléfique. Les fées répandent le bien et eux le mal. Mais comment leur pouvoir a-t-il été ainsi perverti ?
— Je ne connais pas la réponse.
— Savez-vous au moins combien ils sont ? J’ai trouvé d’où ils proviennent, mais cela ne me dit pas comment ils transmettent leur pouvoir ou s’ils peuvent se multiplier… Et puis, s’ils ont conservé un lien quelconque avec les fées, est-ce que leur pouvoir s’affaiblit aussi ?
— Leur nombre, je l’estimerais à moins d’une dizaine, mais je ne détiens aucune certitude. J’ignore si de nouveaux sorciers ont été créés, mais, dans ce cas, je doute que ce soit grâce à l’entremise des fées. Je ne possède pas plus d’explications sur une possible défaillance de leur puissance, même si elle est probable. Et pourtant, sachez-le, Aila, avec le mage de Valmor, nous avons cherché toutes ces réponses.
— Je vais en avoir des questions à poser à mes amies, ce soir…
Il se leva et déclara en la mettant en garde afin de réduire son éventuelle déception :
— Je ne crois pas qu’elles pourront tout éclaircir, elles ne devinent pas et sont tenues au secret par le même serment que nous… Pourriez-vous… ? Non, ce n’est pas la peine. Merci, Aila, pour votre visite. J’ai beaucoup apprécié votre finesse d’analyse et votre capacité de déduction.
C’était la fin de l’entretien et le mage l’énonçait avec diplomatie. Mais elle n’en avait pas tout à fait fini.
— Estimez-vous que nous avons une chance de les vaincre ?
Elle faisait allusion aux sorciers et à l’empereur du Tancral. Elle le sentit sur le point de mentir pour lui laisser un espoir, mais il se résigna à lui dévoiler le fond de sa pensée.
— Notre probabilité de l’emporter est infiniment faible, voire inexistante…
Elle se redressa, prête à partir.
— Mage Orian, une dernière question ! Que savez-vous des Oracles ?
— Très peu de choses : un être humain les abrite, à qui ils donnent des pouvoirs considérables dont la nature varie. Cependant, ils sont très rares et très instables. Ce qu’ils accordent un jour, ils peuvent le reprendre le lendemain. Aucun n’existe à Avotour et j’ignore où en trouver un. Pourquoi cette question ?
— Les fées pensent qu’un Oracle est à l’origine de mes visions.
— Vous avez eu des visions ! Mais personne ne m’a mis au courant ! C’est une information capitale que vous me livrez, là ! Rasseyez-vous, voulez-vous, et racontez-moi.
Il se réinstalla dans son fauteuil et écouta Aila lui relater la seule et unique vision qu’elle avait eue, ainsi que les voix qui la guidaient dans sa tête.
— Ainsi, un Oracle serait responsable de tout cela…
— C’est ce que croient les fées.
Il se pencha vers elle et recouvrit les mains d’Aila par les siennes.
— Faites très attention à vous, Aila. L’effrayante réputation des Oracles n’est pas usurpée : ils ne servent que leurs desseins personnels. Si les siens et les vôtres ne suivent pas le même chemin, il choisira sa propre voie à votre détriment. Et s’il épouse le camp des sorciers, plus aucun espoir ne nous sera permis…
— Errys pense que je vais lui donner du fil à retordre avec mon caractère bien trempé…
Il ébaucha un sourire :
— Alors si Errys le dit…, elle sait de quoi elle parle ! Soyez prudente. Informez le roi que je ne viendrai pas dîner ce soir, voulez-vous ?
Elle hocha la tête, puis, se levant, quitta la pièce après avoir salué le mage. La huitième cloche qui sonnait la surprit. Par les fées, l’heure du dîner ! Elle rejoignit la salle à manger, au pas de course, transmettant au souverain le message d’Orian. Si le repas du midi avait été animé et encore guilleret, la tension était montée d’un cran chez chacun des convives. Demain, tout le monde partirait vers de nouvelles destinations. Ils se sépareraient, empruntant des voies différentes et elle en éprouva de la tristesse. Aubin, Avelin, Lomaï et même Hubert allaient lui manquer… Elle sortit rapidement de table, déposant au passage une bise légère sur la joue d’Aubin. Elle ne se sentait pas le courage de rester avec lui, sachant que, dans quelques cloches, elle le quitterait à nouveau, même si elle s’y préparait depuis une semaine. Arrivée dans sa chambre, elle se dévêtit, gratifia Niamie d’un câlin et salua Lomaï qui entrait dans la pièce.
— Aila, je pars avec eux demain, l’informa la nouvelle garde du corps de Sérain, en s’approchant.
Elles s’étreignirent longuement. Des larmes perlaient des yeux de Lomaï et Aila se contenta de lui sourire, les mots lui échappaient. Elle s’allongea et glissa la main sous son oreiller, espérant avec impatience le moment de passer de l’autre côté du livre. Encore une fois, le sommeil se fit attendre, tellement de pensées fourmillaient et s’entrechoquaient dans son esprit qu’elle n’arrivait pas à le calmer suffisamment pour s’endormir. Enfin, quand elle y parvint, elle franchit la porte de son monde pour entrer dans celui des fées. Amylis semblait patienter, assise sur l’herbe, et paraissait contrariée.
— Bonsoir, Aila. Je sais que ta tête déborde d’interrogations. Cependant, je ne pourrai pas répondre à toutes. Il existe des secrets que nous ne pouvons partager, raison pour laquelle tu devras découvrir les choses qui te manquent par toi-même. Allons rejoindre mes sœurs.
La jeune fille s’installa au milieu d’elles comme à son habitude.
— Vous étiez douze à l’origine, douze représentant les différents pouvoirs. Lesquelles ont disparu ?
— La première à être partie, notre fée Saison, Altays, influençait sur le rythme des jours et des nuits et de la nature. Ensuite, Nyrisse, notre fée Espace dont le pouvoir permettait de passer d’un endroit à un autre, instantanément. Notre fée Temps, Fyrlas, accélérait ou ralentissait la course du soleil dans le ciel. Et puis, pour finir, Naaly, notre fée Amour qui était notre manifestation de la diplomatie, du partage et de la générosité. Elles nous manquent toutes et nous ignorons laquelle de nous sera la prochaine à disparaître. Quand son tour viendra, tu perdras les pouvoirs qu’elle avait mis en partage avec toi…
— Cela signifie que, d’un moment à l’autre, je peux cesser de guérir ou de déplacer les objets, même à un moment critique.
— Normalement, si tu es confrontée à une situation de danger, nous pouvons pallier sa disparition sur une durée très courte et ainsi te permettre d’accomplir ce que tu dois.
— Est-ce que je suis une descendante d’Eery ?
— Nous ne pouvons répondre à ta question.
— Les amants interdits, reposent-ils vraiment dans le lac noir ? Sont-ils réellement morts ?
Amylis secoua la tête négativement. Aila ne rencontra pas plus de succès avec ses interrogations à propos des sorciers, mais, cette fois, parce que les fées les ignoraient.
— Pourquoi moi ? Les mages ne disposent plus de la capacité de venir vous voir et j’y suis parvenue, pourquoi ?
Amylis semblait hésiter sur la réponse à apporter, puis elle se lança :
— Te répondre, si nous le pouvions, serait d’autant plus délicat que nous ne sommes même pas sûres de le savoir…
Aila n’insista pas. De fait, elle en savait à peine plus à présent qu’en arrivant et elle se sentit énervée. Que de secrets ! Et pourquoi ?
— Veux-tu que nous partagions avec toi les derniers pouvoirs qui nous restent ? proposa Amylis avec douceur.
La jeune fille haussa les épaules.
— Pour les perdre demain, la belle affaire !
— Nous faisons tout ce que nous pouvons, dit Amylis d’une petite voix, teintée de supplication.
Immédiatement, Aila éprouva des remords pour son accès d’humeur.
— Je suis désolée, Amylis. Loin de moi le désir d’être désagréable, mais tout ceci devient trop lourd… Tout est inextricable, dénué de sens. J’ai beau tourner et retourner ce que je sais, je ne découvre pas la moindre façon d’éviter la destruction de notre monde par Césarus ! Alors, à quoi tout cela sert-il ? Je voudrais bien le comprendre… Ah si ! Peut-être nous restera-t-il une chance de vaincre l’empereur si je me transforme en Oracle. Encore faut-il que ce dernier penche de notre côté, sinon notre ultime espoir s’évaporera aussitôt. Et puis je vais me battre contre des sorciers dont je ne connais rien du tout. Mais comment ? Sont-ils nombreux ? puissants ? S’en forme-t-il chaque jour de nouveaux ? J’ignore trop de faits et cela m’agace ! Tout cela ne rime à rien, je suis perdue, je ne sais plus ce que je dois faire, penser, alors agir… Et il me prend l’envie folle de céder ma place à quelqu’un d’autre… Un volontaire ?
Errys entoura doucement Aila de ses bras, cherchant à la soulager. La jeune fille lui en fut reconnaissante. Comme chaque fois, Errys n’effaçait ni les doutes, ni le chagrin, ni la peur, mais elle les rendait plus supportables et c’était irremplaçable… Rassérénée, Aila s’installa au centre des fées et le partage démarra.


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