Lecture gratuite : le prologue d'Aila et la Magie des Fées de Catherine Boullery
La saga d'Aila  fantasy


fantasy

Note : 4.6 / 5 avec 284  critiques

Le prologue d'Aila et la Magie des Fées en lecture gratuite

Toutes les histoires ne commencent pas de la même façon, sauf les contes de fées, alors…

Il était une fois le pays d'Avotour où il faisait bon vivre. Bordée à l'ouest par la montagne et bercée à l'est par la mer, cette contrée bénie reflétait un juste équilibre en toutes choses : le chaud et le froid, les plaines et les vallons, les prés et les forêts. La légende racontait que, pendant des siècles, les fées y avaient vécu en harmonie avec les hommes, et cette entente aurait pu durer pour l'éternité grâce au respect d'une seule et unique règle : l'amour entre une fée et un homme ne pouvait exister. Malheureusement, ce qui était défendu arriva : un regard suffit à deux êtres égarés pour s'aimer et transgresser l'interdit absolu. Fées, familles et amis cherchèrent à les séparer, mais sans aucun succès. Les amants connaissaient pourtant la fin terrible qui les attendait, le corps de l'un distillant un poison à l'autre, mais ils la préférèrent à une vie où ils ne seraient plus unis. Isolés, désavoués, ils finirent par s'enfuir, quittant leur pays pour un lieu lointain et perdu où, de leur amour illicite, naquirent des jumeaux. Conscients de leur condamnation par le mal qui les rongeait de l'intérieur et empirait chaque jour, alors, tant qu'ils le pouvaient encore, ils embrassèrent leurs descendants une dernière fois, les confièrent à la Terre, puis, main dans la main, avancèrent dans l'eau d'un lac noir pour y mourir ensemble. Ainsi s'acheva cet amour interdit. Mais se doutaient-ils qu'ils venaient de bouleverser l'avenir de façon irréversible ?

Les fées et les hommes d'Avotour, qui les recherchaient depuis leur fuite, ne retrouvèrent que leurs corps sans vie, au fond du lac, enlacés à tout jamais. D'une pensée, les fées cristallisèrent les deux amants en hommage à leur passion, en dépit de la folie dont elle était empreinte, pour que jamais un tel drame ne se reproduisît entre les deux peuples. Des bébés, personne ne trouva trace ; ce fut comme s'ils n'étaient jamais nés. Peut-être étaient-ils finalement morts du même mal que leurs parents…

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À la suite de ce triste événement, au pays d'Avotour, il fut conté qu'hommes et fées prirent une grave décision : elles continueraient à vivre près d'eux pour les protéger, mais deviendraient invisibles à leurs yeux, évitant ainsi toute nouvelle tentation. Il fut également dit qu'un jour les fées reviendraient parmi les hommes afin de sauver le monde quand elles auraient donné leur pouvoir en héritage à un être humain.

Et la vie poursuivit sa course, insensible à cette douloureuse séparation… En Avotour, les fées avaient disparu depuis trop longtemps et ses habitants avaient fini par oublier tout le bien qu'ils leur devaient. D'elles ne restèrent que des légendes infinies, de celles que les troubadours contaient dans les auberges ou sur les places publiques, dans le silence curieux et recueilli de la population. Ainsi, le temps effaça tout souvenir des mémoires et seuls quelques rares exaltés continuèrent à croire en leur existence. Comme le symbole d'une époque révolue, elles n'apparurent plus que dans la devise du royaume : « Pays des fées, Avotour fut, est et sera » et dans quelques expressions populaires.

Alors qu'un terrible danger étendait son ombre sur la Terre, sous la forme de mille tentacules d'une noirceur effarante, notre histoire commença : celle d'une jeune fille comme les autres, ou presque, mais que quelqu'un, quelque part, avait retenue pour un destin exceptionnel. La journée se terminait et Aila était assise sur une pierre. Elle était assez grande pour son âge et ses cheveux noirs, nattés en une longue tresse, tombaient dans son dos, tandis que des larmes bordaient ses yeux aux pupilles sombres. Du haut de ses seize ans, elle portait sur ses épaules un fardeau bien trop lourd pour une si jeune demoiselle. Comment avait-elle réussi l'exploit de naître en perdant tout ? Et comment pourrait-elle réparer le tort qui lui avait été causé ? Être la fille d'un des combattants les plus valeureux du royaume d'Avotour et ne pas exister à ses yeux constituaient sa triste réalité… Son père, Barou Grand, était un géant à la barbe rousse et au regard bleu, un homme aussi haut que large, animé par une force herculéenne. Vingt ans auparavant, un petit groupe de Hagans, barbares sanguinaires d'un pays frontalier prêts à les envahir, attaqua le carrosse qui transportait Mélinda, la châtelaine d'Antan — un comté d'Avotour — et sa dame de compagnie, Efée. Le hasard décida que Barou, qui passait par là juste entouré d'une poignée de compagnons, les avait secourues. À neuf contre vingt, ce colosse trucida à lui seul dix guerriers hagans sous les regards épouvantés, mais émerveillés de ces dames, alors qu'il ne voyait que les yeux noirs et brillants de l'une d'entre elles, une jeune femme brune au sourire enchanteur. Après les avoir mises en sécurité, il remporta les combats déterminants des dernières grandes batailles qui sauvèrent Avotour. Les hommes qui combattaient à ses côtés l'auraient suivi les yeux fermés, même dans la mort, tandis que sa valeur et son courage devenaient les plus beaux symboles du pays. L'histoire retint que l'amour porta le futur grand héros à vaincre les Hagans, qui se tenaient tranquilles depuis cette victoire. Il ne lui resta plus ensuite qu'à gagner le cœur de la demoiselle aux prunelles sombres.

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Honoré pour ses exploits par le roi et Avotour, il reçut en récompense un titre et un manoir qu'au lieu d'occuper il mit en fermage pour partir s'installer à Antan et courtiser Efée. Cette dernière ne tarda pas à succomber, avec grâce, à cette cour discrète et attachante, puis à l'épouser six mois plus tard avec la bénédiction des châtelains du comté, Elieu et Mélinda. Ils demeurèrent au château où Barou fut nommé maître d'armes, pour la plus grande fierté de tous ses habitants. Sa célébrité attira de jeunes seigneurs en quête de reconnaissance, amenant le héros à créer une école destinée à les former. Petit à petit, un immense terrain d'entraînement fut érigé à Antan, qui s'enrichit par la suite d'un manège, puis d'un champ de courses, afin de satisfaire tous les besoins. Comme quoi il fallait peu de choses pour que le bonheur devînt réalité… Quelle fille ne serait pas fière d'avoir un père comme celui-ci ?

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Aujourd'hui, sa vie semblait sans avenir à Aila. Et pourtant, tout aurait pu devenir tellement merveilleux : enfant désiré, enfin, en apparence, une mère dévouée et adorable, un père impatient de chérir son héritier qui fut, de fait, une héritière… Et là, tout bascula : à l'instant où il découvrit qu'elle n'était qu'une fille, Aila disparut de son existence comme si elle n'était jamais née. Sur le moment, Efée, fatiguée par l'accouchement, n'avait pas compris à quel point la cassure se révélait irrémédiable. Elle avait fait de son mieux, par la suite, pour entourer son enfant d'amour, espérant ainsi compenser l'attitude déconcertante de son mari. Autour d'elle, elle avait sollicité toutes les personnes qu'elle appréciait pour protéger sa fille, déniée par son père. Mélinda, la châtelaine d'Antan, la prit régulièrement avec ses enfants, comme un des siens. Hamelin, le mage du château, devint son précepteur. Lui qui ne s'intéressait à rien d'autre qu'à ses grimoires avait été séduit par ce bébé. Séduit était-il le terme approprié ? Interloqué ? Fasciné ? Toujours était-il que ce fut probablement la seule fois de sa vie où il vint tapoter avec douceur la tête d'un nouveau-né, le regard empreint d'une gravité soudaine. Et, surtout, il y eut Bonneau, son oncle, le frère de son père qui, jour après jour, prit sa petite nièce un peu plus à l'abri de son aile.

Efée, partagée entre deux amours, ne comprenait pas comment Barou pouvait se conduire en mari enflammé, tendre et prévenant, alors que, simultanément, il affichait une indifférence insoutenable dès qu'il s'agissait de sa fille. Tandis qu'elle se remettait péniblement de la naissance, elle percevait le déchirement que représentait pour son époux l'absence d'héritier mâle. Loumie, l'accoucheuse d'âmes, lui avait, avec la plus grande fermeté, déconseillé une autre grossesse, mais Efée y songeait pour rétablir l'équilibre qui avait disparu dans sa vie. Elle voulait une famille, une vraie, avec un père pour ses enfants. Que s'était-il donc passé dans la tête de cet homme, droit et honnête, pour en arriver à rejeter son unique fille ? Essayant une nouvelle fois d'en découvrir la raison, elle avait poussé suffisamment loin la discussion pour que Barou bloquât définitivement toute tentative d'en parler plus avant. Elle ne l'avait jamais vu dans cet état, animé d'une colère glaciale et tranchante, incontournable, insurmontable. Alors, une bonne année après la naissance d'Aila, malgré les réticences de son mari et l'opposition farouche de Loumie, elle tomba de nouveau enceinte, l'espoir vibrant au fond de son cœur de tout réparer en accouchant enfin d'un garçon.

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La vie quotidienne d'Efée s'était naturellement divisée en deux. Quand le soir venait, elle confiait sa fille à son oncle, tandis que, dans la journée, elle s'en occupait pendant que son époux assurait son rôle de maître d'armes. Il était son champion et excellait dans tous les types de combats. Aucune arme blanche ne recelait de secrets pour lui et il était un combattant à mains nues hors pair. Vénéré par ses élèves, respecté par ses pairs, ce héros n'attendait qu'un fils pour marcher dans ses traces. Efée le savait, elle lui donnerait ce garçon tant espéré ! Après, tout irait mieux. Au fur et à mesure que sa grossesse avançait, elle se sentait de plus en plus épuisée et Loumie, inquiète, lui rendait visite fréquemment pour évaluer son état. Quand la future mère ne réussit plus à se lever, Mélinda vint prendre de ses nouvelles chaque jour, récupérant Aila pour la ramener parmi ses enfants. Bonneau, lui aussi très présent, soulageait Efée : il emmenait la petite fille s'occuper des chevaux en la fixant sur son dos avec une pièce en cuir qu'il nouait sur sa poitrine. Cette façon de procéder fit sourire tous ceux qui le croisèrent, mais personne ne s'en moqua. Tous respectaient cet oncle qui se comportait mieux qu'un père.

Bonneau, frère de Barou, ne lui ressemblait pas. Certes grand, il n'avait rien d'un colosse. Il avait hérité d'une teinte de cheveux plus sombre que celle de son frère et d'une carrure plus modeste qui ne l'empêchait pas de l'égaler en force. Comme lui, il avait développé une agilité extraordinaire, doublée d'un impressionnant sens de l'équilibre. En sa compagnie, une des premières chutes d'Aila se termina dans un magnifique tas de fumier bien frais, au profond désespoir de l'oncle. Cependant, il se débrouilla tout seul pour la nettoyer des pieds à la tête et la rendit à sa mère propre comme un sequin neuf… Quand l'histoire, qui circula autour du château, revint aux oreilles d'Efée, elle commença par sourire avant d'éclater de rire. Elle eut l'intime conviction que sa solution de rechange était la bonne et que Bonneau deviendrait l'homme de la situation. Sa détermination à protéger Aila s'en trouva alors renforcée.

Quand arriva le moment de la naissance, Aila venait de fêter ses deux ans et demi. En digne futur père, Barou se précipita au chevet de sa femme et ne la quitta plus, malgré Loumie qui ne cessait de le houspiller. Par les fées, un homme n'avait rien à faire là ! Mais, bon gré, mal gré, elle fut bien obligée de tolérer sa présence, car il voulait rester à tout prix. Enfin, le fils tant attendu naquit et le couple savoura un bonheur inoubliable. Barou resplendissait et Efée sentit l'espoir renaître en elle avec l'arrivée de ce petit garçon. Pour sa part, Loumie se montrait plus taciturne que jamais. Cependant, comblés, les nouveaux parents ne prêtèrent aucune attention à son mutisme marqué.

En une seule nuit, Efée perdit toutes ses illusions ; la naissance d'Aubin n'avait rien changé à l'attitude dédaigneuse de Barou envers sa fille qui ne représentait pas plus aujourd'hui qu'hier, et elle en ressentit un désespoir profond. Elle adorait son mari, mais sa réaction créait une blessure insupportable dans son existence qu'il ne paraissait ni entendre, ni comprendre. Elle se sentait si fragile qu'elle décida que, dès maintenant, elle devait agir pour le bien d'Aila. Malgré sa faiblesse, elle écrivit plusieurs lettres, ses enfants à ses côtés, pour profiter de leur présence tant qu'elle le pouvait encore. Toute à son projet, elle reçut Mélinda, puis Bonneau et, enfin, Hamelin. Le déclin de ses forces ne l'empêcha pas de passer avec chacun beaucoup de temps à convaincre et planifier. Son élocution devenait difficile, sa respiration hachée, mais elle se devait d'achever sa démarche : l'avenir de sa fille était en jeu. Au désespoir de voir l'état de la dame de son cœur se dégrader chaque jour davantage, Barou désertait ses heures d'entraînement pour être à ses côtés. Personne n'aurait songé à lui en adresser le moindre reproche, tant leur amour était cité en exemple en Avotour. Pour éviter des croisements critiques, Efée avait chargé Loumie, si présente auprès d'elle, d'escamoter Aila avant chacune des arrivées de son père. Une paix apparente au sein du foyer fut ainsi préservée…

Efée augurait sa mort proche, c'était juste une question d'heures… Elle avait réalisé tout ce qu'elle pouvait pour Aila, mais son cœur n'en battait pas avec plus de légèreté pour autant, car elle abandonnerait son mari, ses enfants, dont sa fille qui avait tant besoin de sa tendresse. Comment Aila, qu'elle chérissait, arriverait-elle à grandir en force et en confiance malgré l'ombre de Barou ? Quand la vie ne tint plus qu'à un souffle dans sa poitrine, Efée jeta un dernier regard vers l'homme qu'elle avait aimé plus qu'elle-même, sa main posée sur la sienne, sourit à Aubin que Barou berçait dans ses bras, et pressa contre elle une poupée de chiffon, cachée sous les couvertures, symbole de l'amour qu'elle éprouvait pour sa fille. Soudain, sa lumière intérieure s'éteignit, plongeant le cœur de ceux qui l'estimaient dans de profondes ténèbres…

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Le château porta son deuil, tandis que la douleur terrassait ce géant de Barou, avec cruauté. Cependant, entouré par ses amis et serrant son fils contre lui, il décida de poursuivre sa route pour son enfant, dans la mémoire de sa merveilleuse femme.

Définitivement chassée de l'habitation familiale, Aila s'installa chez Bonneau, dans la maisonnette attenante aux écuries. Elle essayait de comprendre avec son cœur de petite fille de presque trois ans où était passée sa maman, pourquoi elle avait un frère avec lequel elle ne vivait pas et un père qui ne la regardait jamais. Comme elle ne trouva aucune réponse, elle se renferma sur elle-même et cessa de parler. Pourtant, son oncle se dévoua pour sa nièce, mettant tout en œuvre pour qu'elle se sentît chez elle. Dans son unique pièce, il lui aménagea une chambre, séparée de la partie commune grâce au paravent offert par Mélinda. Pour la meubler, il lui donna son lit et son armoire. Ensuite, après avoir percé un trou dans le plafond, il se créa un minuscule endroit dans les combles pour y dormir, accessible par une échelle. Chaque jour, il prenait soin d'elle comme s'il s'agissait de sa propre fille, la nourrissait, l'habillait, la sortait. Elle l'accompagnait lorsqu'il s'occupait des chevaux ou qu'il s'entraînait au kenda, un bâton de combat peu répandu comme arme au royaume d'Avotour. Il passait ainsi des heures le soir à répéter inlassablement des figures qu'il réalisait même en chevauchant, sous le regard attentif d'Aila qui ne se plaignait jamais. De fait, elle n'en perdait pas une miette, enfin, quand elle ne s'endormait pas à même le sol, vaincue par la fatigue. Il lui apprit à monter à cheval, à les dresser et à les soigner. Il lui enseigna les herbes, les mélanges, les massages et, sans un mot, elle retenait et reproduisait.

Hamelin, le mage, éprouva plus de difficultés pour s'habituer à donner des cours à une enfant qui demeurait silencieuse pendant l'apprentissage de la lecture. Cependant, quand elle levait ses grands yeux, aussi noirs que ceux de sa mère, où brillait cette immense lueur d'intelligence, il savait que son mutisme ne l'empêchait pas de comprendre. Alors, il continuait ses leçons comme si de rien n'était. Il vérifiait de temps à autre ce que signifiait son regard avant de poursuivre ou de recommencer. Elle apprit très vite à écrire et à calculer. Il lui donna des livres à lire pour une semaine qu'elle lui rapportait le lendemain ou le surlendemain. S'il fut plus que surpris de sa rapidité à déchiffrer et à acquérir tout concept, il en accepta l'idée et lui offrit son enseignement avec enthousiasme. Lui, que les enfants agaçaient passablement avec leurs intarissables bavardages et leur aptitude prononcée à ouvrir la bouche pour brasser de l'air, se trouvait plus qu'heureux de cette petite fille qui se taisait… Il décida de partager tout son savoir et entreprit de lui inculquer ses connaissances sur les plantes, l'anatomie, les langues des différents pays voisins, l'histoire, les sciences, les lois et tant d'autres notions et expériences qui le passionnaient. Impassible, elle le suivit dans les dédales de son érudition, même, lorsqu'emporté par un sujet, il sautait du coq à l'âne.

En dépit de son silence, Aila était acceptée de tous et aussi appréciée ; elle grandissait, serviable et agréable, malgré de rares sourires… Tout en le regrettant, chacun mettait son mutisme sur le compte de toutes les épreuves qu'elle avait traversées. Seuls les élèves de son père la rejetaient sans sourciller. Ils avaient choisi leur camp, celui de Barou et, si leur maître ne voulait pas d'elle, c'était qu'elle n'en valait pas la peine ! Il ne fallait pas qu'elle approchât la zone d'entraînement de trop près : elle y recevait railleries et quolibets auxquels elle ne pouvait répondre. Mais c'était plus fort qu'elle. Elle cherchait à entrevoir son père, ce héros, et à voir grandir Aubin qui ne quittait pas son géniteur d'une semelle. Il se comportait comme son ombre, mais en plus petit… Si son frère faisait de son mieux pour imiter Barou, Aila, rien qu'en le regardant, était persuadée qu'il n'en révélerait jamais le même talent. D'où tenait-elle cette certitude ? Elle l'ignorait, mais, pour elle, Aubin ne manifestait pas cette énergie rayonnante que dévoilait l'âme des grands…

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Tome ➀ - Aila et la Magie des Fées Tome ➁ - La Tribu Libre Tome ➂ - L'Oracle de Tennesse Tome ➃ - La Dame Blanche Tome ➄ - La Porte des Temps Tome ➅ - Une Vie, voire Deux Tome ➆ - Un Éternel Recommencement Tome ➇ - L'Ultime Renoncement ➀ à ➃ - La Première Époque ➄ à ➇ - La Deuxième Époque Tous les tomes de la saga de fantasy La romancière Catherine Boullery #fantasy


Extrait gratuit d'un des livres de la saga d'Aila offert par Catherine Boullery, auteure de fantasy (autres passages sur Amazon). Excellente lecture ;)

— Attendez, messieurs, s’écria-t-elle d’une voix haute et claire, veuillez avoir l’obligeance de m’écouter jusqu’au bout ! Je suis là pour vous apprendre à faire la différence entre un vil manipulateur qui ne sert que ses propres intérêts et quelqu’un au service de son pays.
— Maintenant, ça suffit ! Allez-y ! gronda l’homme.
Aila adressa un signe à Adrien pour qu’il lui lançât son kenda. Elle le rattrapa et s’occupa des quatre compagnons qui fonçaient sur elle. Il ne lui fallut guère de temps pour en venir à bout. Estourbis par la frappe du kenda, ils s’affalèrent les uns après les autres sur le sol.
— Seigneur Artusi, dois-je faire mander la garde ! s’écria le pauvre aubergiste.
— Allez-y, mon brave ! lui répondit-elle.
Puis retenant le lascar au chapeau par le col, elle s’exclama :
— Et où allez-vous donc ? Assis !
L’homme obéit. À présent, il roulait des yeux effarés, fixant la femme qui avait assommé ses sbires en un rien de temps.
— La garde va arriver et vous arrêtera ! vociféra-t-il à son encontre, dans sa dernière tentative d’esbroufe.
— Possible… Mais j’en doute… Surtout, vous ne bougez pas, ajouta-t-elle, laissant planer une menace dans sa voix, tout en relâchant son col.
Avec souplesse, elle monta sur la table.
— Mes amis, écoutez-moi ! Je vais vous raconter la vie d’un roi ! Et si l’un d’entre vous veut lui parler, allez le voir, il vous prêtera attention ! Parce que moi, contrairement à ce présomptueux, je le connais et je peux vous assurer qu’il ne lécherait pas les bottes d’un homme comme lui, ni celles de personne d’ailleurs ! Aujourd’hui, votre roi se bat ! Pour qui ? Pour chacun d’entre vous ! Oui, il sait combien votre vie est difficile et vos malheurs grands ! Qui, croyez-vous, a donné des compagnies de soldats pour protéger le blé ? Qui, croyez-vous, a investi deux sequins par sac de farine pour diminuer le prix du pain ? Qui, croyez-vous, prend la route, à l’instant même où nous parlons, pour nouer des alliances afin de sauver Avotour ? Vous pensez qu’il ne souhaite que vous envoyer à la mort, alors je vais vous décrire le monstre qui convoite notre pays : il s’appelle Césarus, empereur du Tancral. Chez lui, les hommes sont séparés des femmes, sauf le temps de procréer pour assurer la relève de la main-d’œuvre, tant sont insatiables ses besoins en chair humaine… Tout son peuple survit dans des conditions épouvantables et se tue à la tâche, et comment agit Césarus pour le remercier ? Une fois qu’un individu n’est plus bon à rien, il le pousse, parfois encore vivant, dans un charnier où il sera promptement recouvert par d’autres, devenus tout aussi inutiles. Et quand la fosse déborde, il en fait creuser une nouvelle par des hommes qui y finiront de toute façon ! Voilà ce que l’avenir vous réserve si vous ne vous battez pas pour l’éviter. Vous avez des raisons de pleurer sur votre sort actuel, mais, demain, si cet empereur envahit votre comté, vous n’en aurez plus, et seules la servitude et la souffrance vous tiendront compagnie jusqu’à votre mort qui ne tardera pas ! Ne vous laissez pas mener par ces sacrés bonimenteurs, comme cet Artusi, pétris d’orgueil, qui se valorisent d’une importance qu’ils ne possèdent pas. Ces bouffons de pacotille vous racontent ce qui les arrange, alors qu’ils seront les premiers à trahir votre pays et vous avec pour un peu plus de pouvoir et d’argent ! Vous donne-t-il vraiment l’impression de crever de faim cet homme-là ? Regardez-le ! Grassouillet comme un goret et sa mine hautaine et gourmande qui est une offense à vos assiettes vides. Il se nourrit de vos malheurs dont il n’attend que les suivants pour se repaître de plus belle… Ne vous laissez pas embobiner par des calomnies ! Portez la bonne parole de votre souverain à vos voisins ! Comme vous, votre roi souffre, il a perdu sa femme et sa fille qui sont mortes pour qu’il vive ! Ferions-nous preuve de moins de courage qu’elles ? Si elles ont donné leur vie pour lui, je serai la première à le faire, car, moi, je lui fais confiance ! Je ne vais pas nier, ce serait mentir, que la guerre contre Césarus nous lance un défi qu’il nous faudra relever malgré un sérieux risque de défaite, malgré la peur de la souffrance. Je vous promets du sang, de la sueur et des larmes. Et tant pis si j’y perds la vie ! Car, croyez-moi, lorsque je m’engagerai dans la bataille, je tiendrai la première ligne avec notre roi, ses fils et leurs soldats. Et je vous le jure à tous, ici présents, je ne laisserai pas mon pays adoré tomber entre les mains d’un tyran sans lui résister ! Notre seule chance de victoire réside dans l’union de toutes nos forces. Alors, qui me suit ?
Les clients se taisaient, particulièrement troublés. Pendant tout le temps de son discours, ils avaient vu défiler dans leurs têtes des images de l’avenir que leur montrait Aila. Ils avaient percé à jour les projets de Césarus et la vie de ses hommes. Ils avaient vécu les morts de la reine et de sa fille pour des êtres comme Artusi, traîtres à leur pays, insatiables de pouvoir et avides de richesse. Ils avaient ressenti la souffrance du roi à leur perte et son courage pour surmonter cette dernière, ses doutes et ses désirs, l’amour de son royaume et sa volonté de le protéger. De retour, l’aubergiste ouvrit brutalement la porte, devançant la garde de Partour.
— Elle est là. Arrêtez-la ! Elle a malmené les compagnons du seigneur Artusi !
Le capitaine s’approcha avec ses soldats pour empoigner Aila. Adrien s’avança.
— Capitaine, je pense que cela ne sera pas nécessaire. Cette femme n’a fait que se défendre contre ces malandrins envoyés par cet homme pour la brutaliser. Tout le monde peut en témoigner.
— Il ment ! s’exclama Artusi. Il faut l’arrêter lui aussi !
— Pouvez-vous m’accorder juste un instant, je voudrais vous montrer quelque chose, suggéra Adrien à l’officier.
Le regard de ce dernier oscilla entre Artusi et le prince, évaluant le coût d’une méprise auprès du seigneur qui ne serait pas du genre à la lui pardonner. Puis, se résignant, il suivit Adrien, les yeux encore tournés vers l’homme au chapeau. La discussion ne dura guère et le capitaine, plein d’une énergie nouvelle, se dirigea vers le seigneur.
— Seigneur Artusi, je vous déclare en état d’arrestation pour outrage au roi et à la famille royale.
— Mais qu’est-ce que c’est que cette imbécillité ? Vous ne pouvez pas m’arrêter ! Je suis le seigneur Artusi ! Ne commettez pas une erreur de jugement, je détiens beaucoup de pouvoirs, vous savez… ! s’exclama-t-il, en se relevant, bousculant les dernières chopes.
Sortant de l’ombre, Adrien s’avança et se plaça en face de lui.
— Monsieur ! Vous êtes surtout un petit seigneur pédant et mal intentionné qu’il convient de remettre à sa juste place, au fond d’un trou. Je ne confierai pas ma vie à un homme tel que vous dont le premier réflexe sera de me trahir pour un plus offrant.
— Vous trahir ! Mais je ne vous connais même pas !
— C’est dommage pour vous, car en plus d’être pédant, vous êtes un sot ! Emmenez-le et gardez-le-moi au chaud, ou plutôt au frais, jusqu’à mon retour.
Un éclair de compréhension traversa de façon éphémère les yeux de l’homme au chapeau. Il venait de réaliser qu’il faisait face à un prince, mais lequel ? Il ne le savait même pas… Les soldats l’entravèrent, puis l’embarquèrent prestement. Jusqu’à sa disparition par la porte de l’auberge, il se tortilla dans tous les sens pour ne pas quitter le prince des yeux. Les gardes ramassèrent les compagnons d’Artusi qui, sans avoir encore parfaitement retrouvé leurs esprits, allaient suivre le même chemin que leur petit seigneur.
— Je passerai au château demain matin pour régler cette pitoyable affaire, reprit Adrien à l’adresse de l’officier qui se dandinait sur place.
Percevant son malaise, il poursuivit :
— Auriez-vous quelque chose à rajouter, capitaine ? Je vous écoute…
— Sire Parcot risque de se sentir offensé par le fait de ne pas vous avoir offert l’hospitalité pour la nuit dans sa demeure…
Adrien traduisit aussitôt ce que n’ajouta pas le capitaine. Ce dernier s’exposait au mécontentement de son seigneur pour n’avoir pas su ramener un membre de la famille royale au château… Le prince jeta un coup d’œil à Aila qui, encore sur la table, hocha la tête. Elle aussi avait compris les enjeux.
— Nous ne voudrions pas décevoir votre seigneur, nous vous accompagnerons jusqu’à sa demeure, poursuivit-il.
Le capitaine émit un bref soupir de soulagement et tourna son regard vers la jeune fille qu’il avait failli arrêter. Toujours perchée, elle s’adressa à tous ceux qui logeaient dans l’auberge :
— Maintenant, vous savez que j’ai dit la vérité. Alors, aidez-nous à la répandre. Soyez loyaux à votre roi ! Ne négligez pas ses sacrifices, car lui ne vous oublie jamais !
Avec grâce, elle sauta de la table, posa un genou à terre et baissa respectueusement la tête devant Adrien, abasourdi.
— Sire Adrien, mon prince, à genou devant vous, je vous renouvelle mon engagement de fidélité, énonça-t-elle d’une voix claire.
Elle se redressa et hurla :
— À la vie, à la mort !
Un murmure parcourut l’assemblée, qui, elle aussi, réalisait que se tenait devant eux, dans cette auberge, un prince… De rares clients commencèrent également à mettre un genou en terre en murmurant « À la vie, à la mort ! », rejoints petit à petit par d’autres dont les voix s’élevaient de plus en plus nombreuses et assurées, sous les yeux médusés de l’aubergiste. Un regard vers le capitaine qui s’agenouillait, finit par le convaincre d’imiter la foule. Bientôt, plus aucun homme ne se tenait debout, excepté Adrien. Elle reprit, de sa voix sonore, dans le silence qui retombait.
— À tous, je confie la mission de rapporter et d’expliquer à vos voisins et amis la menace qui pèse sur nous tous. Racontez ce que vous avez vu, prouvez-leur que nous devons rester unis pour vaincre ! Soyez incisifs, convaincants ! Vous devenez à partir de ce soir les émissaires du prince Adrien et de sa famille, et le roi ne pourra que se montrer fier de sujets tels que vous ! Nous nous retrouverons !
— À la vie, à la mort ! s’écria un des hommes, se relevant maladroitement.
Suivi par tous, l’auberge trembla sous les cris et les vivats ! Le pauvre tenancier, désorienté, regardait la douce folie qui s’était emparée de ses clients.
Aila s’approcha de lui. Il en frémit.
— Juste un conseil pour vous : je sais la difficulté de se frayer une place parmi les grands, mais un égoïste tel qu’Artusi n’aurait jamais fait qu’abuser de vous sans vous offrir la moindre compensation. N’ayez aucun regret. Seulement, à l’avenir, choisissez mieux vos amis et ceux à qui vous déclarez votre loyauté.
L’aubergiste se fendit d’un large sourire et se mit, comme les autres, à lever le bras et à s’égosiller.

Les deux voyageurs avaient récupéré leurs paquetages. À présent, ils suivaient le capitaine qui les guidait vers le château à travers les rues sombres de la ville. Ni l’un ni l’autre n’avait prévu ce nouveau rebondissement dans leur mission, mais au point où ils en étaient, qu’importaient ces heures supplémentaires perdues… L’officier avait dépêché un de ses soldats en avance prévenir le châtelain et ce dernier se tenait déjà sur les marches quand le petit groupe pénétra dans la cour. L’homme parut immédiatement antipathique à la jeune fille. Il affichait sur sa bouille arrondie une profonde estime de soi que la jeune fille trouva déplaisante. Malgré les nombreux défauts qu’elle décelait en lui, il lui apparut clairement qu’il n’était pas le traître que l’on aurait pu croire, il affichait sa fidélité au roi… Tout dans sa façon de se comporter lors de leur accueil dénotait qu’il était borné, impitoyable et colérique. Poursuivant son analyse du personnage, elle se dit que, dans le même temps, il excellerait comme chef d’armée… Dans un tel contexte, borné signifierait déterminé, implacable, valeureux et, pour ce qui était de la colère, partagée avec ses soldats contre leurs ennemis, elle leur donnerait des ailes. Tout ceci constituait pour l’instant un mélange détonant qu’il conviendrait de manipuler avec précaution… Aila soupira. Depuis quand la diplomatie était-elle devenue un de ses talents ? Comment allait-elle procéder pour ne pas se le mettre à dos tout de suite ?
— Sire Adrien ! Ma dame ! Quel honneur infini de vous recevoir dans mon château ! Je vous en prie, entrez. Mes serviteurs sont en train de vous préparer deux chambres qui, je l’espère, vous siéront. Avez-vous mangé ?
— Merci pour votre accueil, sire Parcot. Une seule suffira, je dors avec mon garde du corps. Si cela ne vous dérangeait pas, après cette journée fatigante, nous aimerions nous retirer.
— Oh ! s’exprima le châtelain, visiblement déçu.
— Sire, dit Aila, se tournant vers Adrien, nous pourrions consacrer du temps à notre hôte avant de nous reposer. Comme nous repartons de bonne heure, nous n’aurons pas d’autre occasion pour discuter ensemble…
Il lui jeta un coup d’œil interrogateur, puis s’adressa à Parcot :
— La fatigue a eu raison de moi, un instant, et j’ai manqué à tous mes devoirs. Nous sommes ravis de passer un moment avec vous. Nous vous suivons, sire Parcot.
Les deux invités se retrouvèrent rapidement dans une salle bien chauffée, mais plutôt vide. Aila eut l’impression de revoir le château d’Antan. Malgré sa dureté apparente, le châtelain de Partour ne laissait pas ses gens dans la misère sans agir. Ils s’installèrent dans trois fauteuils à l’aspect râpé.
— Mon capitaine m’a averti que sire Artusi croupissait au cachot, annonça-t-il avec un petit rire sans joie. Notre monde bouge et certains y perdent leurs repères. Depuis un moment, je me méfiais de lui et je le découvre agitateur et provocateur. Mais il ne s’en tirera pas comme cela ! Au pain sec et à l’eau ! Cela va lui changer la vie à ce félon !
— Il a dit compter des amis haut placés. Savez-vous de qui il parlait ? questionna Adrien.
— Je sais qu’il voyage beaucoup entre Aroure et Uruduo. Maintenant, qui il y rencontre exactement est une autre paire de manches. Les seigneurs Barmois d’Uruduo et Constan d’Aroure sont déjà venus lui rendre visite, mais nous ne pouvons en tirer aucune conclusion. Je connais Constan, c’est un homme horripilant, mais cela n’en fait pas forcément un traître ou un rebelle…
Aila retint un rire. Parcot raisonnait sur Constan comme elle l’avait fait à son égard…
— Notre situation est-elle si grave que cela ? s’inquiéta le châtelain.
Adrien jeta un coup d’œil interrogateur vers Aila qui lui signala qu’il pouvait parler.
— Encore plus que vous ne pouvez l’imaginer. Nous sommes menacés par l’empereur Césarus du Tancral qui a juste besoin d’esclaves et de jouets humains supplémentaires…
— Mais le Tancral est à des centaines de lieues, au nord !
— Effectivement, mais il a désormais asservi tous ses pays limitrophes. Après une période de repos, il a décidé de se remettre en marche en traçant vers le sud…
Un moment, le châtelain resta pensif avant de reprendre :
— Nous devions déjà combattre la misère et nous voilà devant un fléau encore plus redoutable. Alors que faire ?
— Le roi a rappelé tous les héros de la grande bataille pour reformer une armée. De plus, chaque membre de la famille royale est chargé de nouer des alliances avec les pays qui bordent le royaume d’Avotour. Seuls, nous aurons du mal à vaincre, mais unis, cela nous laisse une chance…
— Et qui allez-vous voir ?
— Les Hagans.
Parcot se dressa sur sa chaise, puis sur la pointe des pieds.
— Impossible ! Ces Hagans ne sont que des hordes sauvages ! Ils ne cessent de nous harceler ! Ils tuent nos hommes, nos femmes, nos enfants et détruisent nos récoltes… Ce ne sont que des barbares ignares ! Qu’on les extermine, tous, jusqu’au dernier ! Comment pouvez-vous songer, ne serait-ce qu’un seul instant, à une entente avec eux ? Jamais je ne prendrai part à une telle mascarade ! C’est hors de question ! Vous m’offensez !
Le châtelain fulminait et Adrien attendit qu’il se calmât avant de reprendre la parole, avançant prudemment ses idées :
— Seigneur Parcot, j’entends et je comprends vos sentiments à leur égard. Cependant, nous atteignons un tournant de notre histoire où de ces alliances nouvelles peut naître une victoire pour nous tous. Les Hagans sont tout ce que vous dites, mais ce sont aussi, reconnaissez-le, de fiers cavaliers et d’excellents combattants. Ils rivalisent de courage et ne craignent pas de mourir. Nous aurons besoin d’hommes comme eux.
— Moi, vivant, jamais, vous entendez ! Jamais !
— Alors, ce sera vous, mort, s’il le faut, conclut Aila, très placidement.
Adrien et Parcot se tournèrent vers la jeune fille, le châtelain s’étranglant littéralement de rage. Elle se leva nonchalamment et posa sa main sur le bras du châtelain, l’amenant doucement à se calmer et à se rasseoir.
— Vous devez absolument comprendre que nous n’avons aucun choix. De plus, votre vision des Hagans me paraît beaucoup trop réductrice pour être juste. Je vais vous rafraîchir la mémoire. Pendant des années, les sujets d’Avotour vivaient en paix. Seulement, l’histoire raconte qu’au moment où les fées ont disparu…
— Allons donc nous voici en plein délire ! Vous êtes bien une femme pour déblatérer ce genre de niaiseries ! coupa Parcot qui tenta de se lever de nouveau.
— Asseyez-vous et écoutez, ordonna le jeune fils du roi, sans élever la voix. Elles existent et je les ai personnellement rencontrées pour la première fois, il y a quelques jours à peine…
Le châtelain ouvrit la bouche, puis se rassit lentement, abasourdi par les propos du prince. Elle enchaîna, sans lui laisser le temps de comprendre ce qui venait déjà de l’assommer.
— Quand les fées ont disparu, les citoyens d’Avotour ont perdu leurs marques et, dans leur désespoir, ils ont perpétré des incursions chez les Hagans pendant plus d’un siècle. Ils ont fait subir aux Hagans ce que vous leur reprochez d’exercer à l’encontre de notre peuple aujourd’hui. Nous aussi n’étions rien d’autre que des barbares sanguinaires, prêts à tuer pour un rien. Puis nous avons recouvré la raison et sommes à nouveau devenus des hommes de paix, oubliant les monstruosités que nous avions pu commettre, mais pas eux ! À présent, ils se vengent toujours des souffrances que nous leur avons infligées. Le prince et moi venons pour briser ce ressentiment dont nous portons la responsabilité. Mais si des seigneurs comme vous s’opposent à ce projet de réparation, ils finiront avec Artusi dans un cachot comme traître à la patrie !
Parcot était livide. Il jetait des regards désespérés vers Adrien. Il ne comprenait pas que le prince laissât une simple garde du corps lui donner des leçons à lui, un seigneur ! C’en était trop pour lui ! Il était fidèle à son roi et les Hagans des hommes sans foi ni loi ! Aila poursuivit son histoire :
— Je pourrais les détester encore plus que vous. Ils ont fait brûler vive toute la famille de ma mère. Mon père les a combattus et les a vaincus, mais je vais vous dire une chose qui risque de vous surprendre. En l’écoutant parler, j’ai toujours songé qu’il les respectait. Il les considérait comme des hommes braves. Seulement, comme vous, il avait tellement subi d’horreurs de leur part, qu’il s’en méfiait comme de la pire des engeances.
— Mais ce sont des brutes bornées, impitoyables !
— Exactement ce que j’ai pensé de vous en vous voyant. Et j’ai, en outre, rajouté colérique…
Le châtelain demeura sans voix. De blême, il était devenu rouge. Il ouvrait et refermait la bouche comme un poisson qu’on aurait sorti de son bocal. Ce fut le moment que son fils, Julius, choisit pour entrer dans la pièce.
— Bonsoir à tous. Sire Adrien, ma dame…
Il s’aperçut rapidement que quelque chose clochait et son regard oscilla entre les différents protagonistes. Il versa de l’eau dans un verre et le tendit à son père qui, d’un geste, l’envoya valdinguer contre la cheminée.
— Colérique, c’est bien ce que je disais, acheva Aila.
Le fils esquissa un sourire, puis prit une chaise et s’installa à côté de son père. Il ne paraissait aucunement ébranlé par la conduite de Parcot et attendit que le calme fût revenu. Pour détendre l’atmosphère, il s’adressa à Adrien :
— Sire, vous avez fait grand effet sur la population de Partour. Dans les couloirs du château, on ne parle plus que d’allégeance au roi ! J’ignore comment vous vous y êtes pris, mais vous avez réussi à réveiller dans leurs cœurs l’envie d’appartenir au royaume d’Avotour qui se perdait peu à peu. Ce revirement me paraît extraordinaire.
— Personnellement, je n’y suis pour rien, mais je bénéficie d’une garde du corps particulièrement efficace qui sait en permanence quoi dire au bon moment et qui l’énonce sans vraiment mâcher ses mots. C’est à double tranchant. Elle ne fait pas de cadeau, mais, dans le même temps, elle vous permet de réaliser que vous êtes dans l’erreur et vous offre une chance de corriger le tir. J’ignore comment elle se débrouille, mais ce qu’elle affirme se révèle toujours juste. Alors, même moi, quand elle parle, je l’écoute et je réfléchis, car, tout prince que je suis, je ne suis qu’un homme faillible. Le vrai courage consiste à savoir reconnaître ses méprises…
Julius ne fut pas dupe. Il comprit immédiatement que le discours s’adressait à son père, devenu remarquablement silencieux et renfrogné.
— Sire Parcot, annonça Aila. Vous devez rejoindre le comté d’Avotour et des combattants comme Barou ou Bonneau Grand. Vous êtes de la même trempe, de ceux qui conduisent et galvanisent les troupes au combat et qui les font vaincre. Avotour a besoin d’hommes comme vous. Vous aurez beaucoup à apporter avec votre sens inné de la stratégie et vos connaissances du terrain.
— En somme, vous m’en mettez plein la face et, après, vous me passez la pommade pour effacer le tout ! Ne croyez pas, jeune fille, que je mange de ce pain-là ! répliqua le châtelain qui avait retrouvé sa voix et son assurance.
— Borné, j’ai bien dit borné ! riposta-t-elle du tac au tac.
— Cela suffit ! Je ne me laisserai pas traiter comme un imbécile sous mon propre toit ! Je ne ferai rien contre mon prince à qui j’offre mon respect comme il se doit, mais à vous, lança-t-il, en observant Aila, je ne vous dois rien, alors ne poussez pas le bouchon trop loin sous peine de croupir dans le même cachot qu’Artusi.
— Aucune geôle ne me retiendrait, sire Parcot. Regardez…
Elle ouvrit ses mains et, sous leurs yeux ébahis, elle fit croître une flamme. Tous sentaient sa chaleur douce qui se transforma rapidement en un brasier insupportable. Aila l’envoya en l’air et elle retomba en gouttes de pluie torrentielle qui détrempa les seigneurs avant qu’un grand vent ne se levât et qu’ils ne fussent à nouveau secs comme si rien ne s’était passé… Mais ce n’était pas un songe, Aila tenait encore dans ses mains la flamme qui se mourait lentement.
— Mais quel est ce prodige ? Qui êtes-vous donc ? s’enquit Parcot, décomposé.
— Je m’appelle Aila Grand et j’ai reçu en partage les dons des fées. Je suis celle qui sait.


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