Les légendes en Avotour racontent qu'hommes et fées vécurent en parfaite harmonie jusqu'au jour où un interdit absolu fut transgressé : l'amour entre un homme et une fée. Pour qu'un tel malheur ne se reproduise plus, les fées choisirent de disparaître aux yeux des hommes et c'est ainsi qu'aujourd'hui, en Avotour, plus personne ne croît aux fées ou presque…
Orpheline de mère, Aila a grandi élevée par son oncle Bonneau dans le comté d'Antan. De loin, enfermée dans l'incompréhension totale de ce père qui l'a reniée à sa naissance sans raison apparente, elle observe son père Barou Grand et son petit frère Aubin vivre ensemble. Et, pourtant, ce colosse est le plus grand héros du royaume. C'est lui qui, des années auparavant, a repoussé chez eux les Hagans, peuple frontalier, féroce et sanguinaire, qui venait piller et tuer.
Heureusement, la jeune fille n'est pas seule. La châtelaine d'Antan, Mélinda s'occupe d'elle comme de ses trois filles, lui offrant une présence féminine indispensable tandis que Hamelin, le mage du château, érudit et sage, lui enseigne tout ce qu'il sait. De plus, Aubin, bravant l'interdit parental, décide de se rapprocher d'elle dans le plus grand secret.
Alors qu'Aila devient adolescente, Bonneau décèle chez sa nièce une aptitude peu commune à se battre et décide de la former. Aujourd'hui, à seize ans, elle est devenue une exceptionnelle combattante, en particulier, lorsqu'elle manipule le kenda, un bâton de combat aux propriétés peu conventionnelles. Elle est l'élève qui ferait la fierté de Barou. Cependant, rien n'a changé et ce dernier persiste à l'ignorer.
Deux journées de deuil sont décrétées quand le roi Sérain d'Avotour perd sa femme et sa fille dans un attentat qui lui était destiné. À la suite de cet événement tragique, il décide de protéger ses trois fils en créant une garde rapprochée. Naturellement, il envoie chercher ces hommes parmi l'élite d'Avotour, c'est-à-dire dans le camp de formation de Barou Grand. C'est la chance que saisit Aila pour enfin prouver sa valeur. Malheureusement, Barou refuse sa participation. Alors, pour la première fois de sa vie, Aila s'oppose à lui et fait appel à une loi ancienne qui l'autorise à changer de père. Sa joie explose quand elle est sélectionnée, mais c'est aussi tout son monde qui bascule. Dorénavant, elle va quitter la sécurité d'Antan et son bonheur est teinté d'une légère appréhension.
Son départ proche perturbe plus que de raison Hamelin. Aila connaît depuis bien longtemps son intérêt pour les fées et l'a toujours considéré comme l'expression d'une forme de nostalgie chez un homme attaché de traditions ancestrales. Seulement, quand elle touche le petit livre aux paysages mouvants qu'il lui tend, elle se sent immédiatement happée dans un autre monde avant de briser la magie du moment. Hamelin est convaincu qu'Aila peut communiquer avec les fées tandis que la jeune fille refuse totalement d'envisager, même l'espace d'un instant, l'existence de telles créatures. Malgré tout, par affection pour le vieil homme, elle emporte le livre qu'elle fourre au fond de son sac, espérant ainsi l'oublier au plus vite.
La qualité de vie en Avotour s'est bien dégradée depuis quelques années. La misère y côtoie la disette. De plus, affaibli, le pays redevient la cible de nouvelles attaques haganes et l'objet de convoitise de contrées limitrophes soutenues par la traîtrise interne de certains comtés du royaume. C'est ainsi que les membres de la garde rapprochée se voient attribuer différentes missions en vue de confondre ceux dont la loyauté a failli.
Heureuse de partir avec le benjamin de la famille royale, Avelin, Aila déchante quand elle découvre que, en fin de compte, elle accompagnera l'héritier du trône, Hubert, aussi froid que rigide, dans une mission dans le comté d'Escarfe. Sa déception s'accroît quand elle apprend qu'elle sera présentée comme sa promise et qu'elle va devoir troquer sa tenue de combattante contre robes et frou-frou.
Tandis qu'Aila se prend finalement au jeu, des phénomènes bizarres apparaissent dans sa vie et la troublent. Comment se fait-il qu'elle pressente le danger ? Pourquoi son esprit devient-il capable de survoler l'espace qui l'entoure ?
Alors qu'un danger encore plus grand menace le royaume en la personne de Césarus, un empereur venu du nord qui détruit toute vie sur son passage, de nouvelles coalitions vont devoir naître pour contrer un oppresseur prêt à tout. Comment les ennemis d'aujourd'hui pourront-ils devenir les alliés demain ?
Aila et la Magie des Fées, un joli titre qui n'attirait pas spécialement ma curiosité… Si j'avais su un jour qu'un livre de fantasy allait me rendre autant adepte de la lecture, je ne l'aurais pas cru. On pourrait croire à un livre pour fillettes rêvant de magie et d'univers parallèles, pourtant je dirais que c'est un livre qui en passionnerait plus d'un, tous âges confondus. Un livre magnifiquement bien écrit, qui révèle des détails qu'on ne pourrait imaginer…
Je me lance… j'ouvre le livre, je commence à lire quelques pages, 13, 20, 35… je dévore toutes ces lignes à une vitesse folle. Et voilà maintenant que je le prends dans le bus le matin, à ma pause déjeuner, le soir pour rentrer, et juste avant de me coucher. Je tourne les pages plus vite que mon ombre et naît un sentiment d'impatience de connaître la suite.
Au fil de l'histoire, je me suis complètement identifiée à l'héroïne ; elle était moi et j'étais elle. C'est comme si nous ne faisions qu'un. Une sensation qui reflète ma façon d'agir, de penser, de vivre… une aventure que j'ai lue et surtout vécue intérieurement pendant mes quelques jours de lecture passionnée. Je le relirai encore avec plaisir et avec les mêmes sentiments que la première fois ! Un livre à l'avenir tout tracé que je conseillerai à tous mes proches !!!
Olala !!!!! Rien que le premier chapitre, et j'étais déjà accro !!! Ce qui est vraiment génial, c'est d'avoir pris plein de thèmes et histoires qui font partie de notre inconscient imaginaire et d'en avoir fait quelque chose de neuf ! Le tour de force de Catherine, c'est de parvenir à dévier ces éléments pour créer son propre monde et, ainsi, de générer un plaisir double pour le lecteur : celui de revivre un imaginaire de l'enfance dans un autre.
Tout est vraiment bien écrit et très fluide (et merci d'employer le subjonctif imparfait !!! J'adore ce temps qui ajoute un côté féerique et intemporel, justement typique du conte).
Aucune pesanteur, les personnages, leur origine, tout est bien posé en douceur et, pourtant, au milieu de péripéties palpitantes ! Le rythme est parfait ! C'est super bien ficelé, drôle, et, de plus, étonnamment d'actualité ! (toute la description d'Avotour, des problèmes causés par la misère, l'angoisse de ce qui va survenir…) Bref, je suis toujours aussi fan !!!
Eh bien, si je m'attendais un jour à donner mon avis sur un livre de fantasy, moi qui ne lis que des magazines d'économie, un ou deux ouvrages (sérieux) par an, et jamais de fantasy. J'ai été fortement incité à parcourir Aila et la Magie des Fées et je ne le regrette absolument pas. Une fois le prologue avalé, je pénètre dans un roman qui débute à la fois doucement (un environnement bien brossé, une fine description des personnages — aux caractères très affirmés — qui offrent tous un élément auquel s'attacher, une subtile entrée en matière des fées, imperceptiblement) et rapidement avec de l'action dès le premier chapitre — ça ne s'arrête plus jamais — et des dialogues d'une incroyable pétulance. Pas moyen de s'interrompre une fois qu'on a mis le doigt dans ce livre…
Il faut aussi que je vous précise qu'après cette lecture, je suis en mesure de vous affirmer que le titre « Aila et la Magie des Fées » est très réducteur, en effet, ce roman déborde d'éléments qui en font un excellent moment littéraire.
Catherine Boullery parvient à nous tenir en haleine tout au long de cette histoire, nous y passons d'aventures en aventures. Alia est non seulement une combattante hors paire et une jeune femme au caractère bien trempé, mais aussi une personne pleine de douceur, qui sans le savoir est avide d'amour et de romantisme. Bien sûr , il me faut aussi parler des fées et du coté magique de ce livre, qui y tient aussi une partie importante et qui fait le lien avec les deux tomes suivants.
Avec ce roman j'ai donc vécu des moments romanesque, fantastique, d'aventure, J'ai voyagé au sein d'une contrée imaginaire.
Je ne saurai donc que vous conseiller de découvrir les aventures d'Alia si vous êtes en quête de toutes ces choses.
« Aila et la Magie des Fées » est donc le premier tome d'une saga, qui je maintiens mon opinion, aurait mérité un titre un peu plus recherché.
Voilà ce qui se passe quand, en lisant un livre pour la seconde fois, je me sens une nouvelle fois littéralement happée par l'histoire : je me lâche ! Extrait : « Qu'est-ce qui m'a plu dans Aila et la Magie des Fées ? […] ce qui est intéressant, c'est que contrairement à d'habitude […], c'est une femme, Aila, qui reçoit toutes les caractéristiques des héros : combattante efficace, elle sait manier les armes, et peut se montrer fine stratège. Cela donne de la profondeur au personnage, et le roman a une coloration féministe en montrant comment une très jeune femme peut s'affirmer dans un monde d'hommes et instaurer un nouveau rapport à autrui. […] Autre chose : Aila est un personnage amusant et touchant, parce que contrairement à certains héros de fantasy, elle est un personnage inachevé : elle est encore en train de grandir, elle est souvent montrée en train d'apprendre à devenir une guerrière, on la voit même être très naïve, faire des erreurs importantes, et se méprendre sur les intentions d'autres personnages. C'est rassurant, ou réaliste, comme on veut, de découvrir un personnage qui n'est pas auréolé de toutes les perfections. […] on peut lire une réflexion sur le pouvoir et sur les modes de gouvernement. Ainsi, les actions humaines ont autant de place que la magie : Aila instille la volonté, chez les princes et les rois, de sortir de leur passivité, d'arrêter d'attendre une évolution extérieure, et de réfléchir par eux-mêmes à la manière de mieux gouverner leur pays et d'améliorer les conditions de vie de leur peuple. C'est surtout un roman sur la disparition de la magie […]. Or, cette magie ne peut disparaître, et cela nous est prouvé doublement : parce qu'elle aide à sauver le monde dans l'histoire racontée par le livre, mais aussi d'une autre manière : elle est peut-être fée, l'auteure de ce livre, car son livre agit sur le lecteur comme celui des fées sur Aila ; on se sent comme aspiré par une histoire qu'on ne veut plus quitter et qui s'offre très facilement à la lecture. Comment mieux affirmer que les livres et la lecture font ressusciter la magie et peuvent réenchanter notre monde ? »
Un monde féerique envoûtant, une histoire passionnante qui vous tient en haleine de la première jusqu'à la dernière ligne. On vit des émotions intenses avec Aila ! J'ai autant dévoré les livres de Boullery que ceux de Goodkind, Tolkien ou Martin. Lisez les trois premiers chapitres : vous ne pourrez plus vous arrêter !
Catherine Boullery réenchante la saga fantastique en trempant sa fine plume dans la clarté du conte. Les fluides aventures d'Aila sauront sans aucun doute poser leur charme puissant sur les enfants de 10 à 90 ans : un sort suffisamment puissant pour tenir en haleine au fil d'une histoire-fleuve.
J'ai eu le privilège de découvrir en avant-première les aventures d'Aila. Elles m'ont tenu en haleine pendant plusieurs jours, c'est ce genre de roman qu'on peine à refermer tard le soir, mais dont on essaie d'économiser certains chapitres pour le lendemain ! J'ai hâte de découvrir la suite et suis ravi d'apprendre que d'autres personnes découvriront cet univers vraiment particulier et attachant. Bonne lecture à tout le monde !
Je suis en train de relire Aila et la MAGIE est toujours là. C'est époustouflant, car je sais que, dans un an, dans dix ans, il y aura toujours cette magie que je me régalerai à redécouvrir. Ce livre enchanteur, envoûtant, fait partie de ceux qui me sont « intemporels » et dont le plaisir de la relecture reste toujours aussi fort : on s'attache à Aila, on se l'approprie, on vit sa vie au fil des mots, au fil des pages, on la voit grandir comme un enfant (on en est fière n'est-ce pas, Catherine ?) et on en redemande encore et encore. Et on se dit qu'on sera patiente comme jamais pour connaître la suite, mais surtout, surtout, ne jamais connaître sa fin !
Tous les ingrédients sont là : l'amour, l'amitié, la fidélité, le courage, l'aventure, l'espérance, les joies et les peines, le doute, l'angoisse, la violence, la mort… Exercice de très haute voltige. Je suis très touchée d'avoir eu le privilège de lire le 1er tome il y a un an et je n'ai plus qu'un mot à dire : longue vie à Aila.
Le calme revenu après ces heures pleines de surprises, Kerryen, assis à son bureau, établissait le bilan de la journée sur le point de s’achever. Si celle-ci avait commencé à peu près comme d’habitude, elle avait doublement viré au désastre. Ses yeux se reportèrent encore une fois vers la missive qui relatait d’inquiétantes nouvelles à propos d’un combattant déterminé et implacable, l’empereur noir, descendant du nord en ligne directe. Celui-ci envahissait petit à petit tous les états sur son passage dans un insatiable élan qui l’emmenait toujours plus au sud. Si, agissant au coup par coup, il ne semblait pas obligatoirement pressé de s’emparer de toutes les terres, il poursuivait l’extension de son territoire comme sous l’emprise d’un irrépressible désir qui ne s’arrêterait pas là. Pour l’instant, il paraissait encore loin, mais le souverain pressentait le caractère illusoire et temporaire de cette tranquillité. Bientôt, il devrait prendre des mesures afin de protéger son royaume de ce conquérant de demain. Quelle autre voie se présentait à Kerryen que celle de créer des alliances avec ses pays limitrophes ? En réunissant, pour commencer, les forces des quatre contrées frontalières, l’empereur serait forcé de les contourner, parce que, quelle que fût la puissance de cet homme, elle ne suffirait pas pour les affronter tous ensemble. Cependant, cette éventualité ne le réjouissait guère, certains de ses voisins ne lui inspiraient aucune confiance. Il les imaginait sans mal se retourner contre lui à la moindre occasion, changer de bord au fil de leurs opportunités. Des partenaires susceptibles de le poignarder dans le dos ne possédaient rien de rassurant. Pourtant, poussé par la nécessité, il devrait se soumettre à cette première étape, car préserver le Guerek, sa cité d’Orkys et sa forteresse lui apparaissait indispensable. Qu’il détestait être roi ! Autant d’ailleurs qu’il méprisait la politique et tous ses ronds de jambe diplomatiques pour ménager chèvre et chou ; l’hypocrisie et le mensonge le révulsaient. Il ne supportait pas de devoir sourire à des fâcheux et de feindre une forme de cordialité qui ne rentrait déjà pas normalement dans les traits de son caractère, principalement envers ceux qui lui déplaisaient. Enfin, en y réfléchissant, qui recevait vraiment son agrément ? Alors que tout en lui se rebellait et lui criait qu’il n’était pas bâti pour régner, la vie ne lui en avait pas laissé le choix, à moins qu’incriminer le destin représentât de sa part une imposture pour se protéger de ses faiblesses, pour pouvoir regretter ses décisions sans se condamner, se pardonner de commettre tant d’erreurs et, au final, d’être un souverain à ce point quelconque. Évidemment, il aurait pu refuser de succéder à son père. Cependant, il ne s’était pas résigné à transmettre le trône du Guerek à un inconnu. Il avait observé tous les hommes autour de lui, du simple paysan aux garants des plateaux et, parmi eux, n’avait pas distingué l’ombre d’un monarque : trop gentils ou trop ambitieux, trop énergiques ou trop mous. Entre le « trop » et le « pas assez », comme aucun d’eux n’avait été jugé digne de remplacer Lothan, il avait endossé le rôle d’héritier pour lequel il avait été formé, sans la moindre envie. Et, pourtant, quand, le soir, il rencontrait son reflet dans un miroir, il se disait qu’il ne valait pas mieux que ceux qu’il avait écartés, et, finalement, pas moins non plus. Ni grand guerrier ni même un génial diplomate, il se révélait en fait un gestionnaire acceptable qui agissait avec rigueur et efficacité pour maintenir à flot le patrimoine de son maître en attendant son retour, rien qu’un modeste scribouillard sans envergure à la tête d’un pays aussi petit que lui, tout sauf l’authentique souverain, dont il possédait le titre sans la carrure. De plus, la nature l’avait doté d’un caractère emporté… Il sourit. Ce bouillonnement intérieur, au moins, ajoutait un peu de piment à son existence. Il ne se sentait vraiment vivant que lorsque la colère coulait dans ses veines, alimentait son esprit comme un flux d’énergie vitale qui le guidait comme s’il détenait toutes les vérités. Malheureusement, une fois apaisé, il se remettait à douter et, incapable de déterminer ses torts ou ses engagements sensés, ses convictions s’envolaient aussitôt…
Les yeux dans le vide, les idées de Kerryen erraient sans qu’il tentât de les retenir. Trop longtemps il avait feint d’ignorer ses hésitations ou ses interrogations et voici qu’elles lui revenaient en pleine face, avec une cruauté qui le blessait et l’amenait à craindre le pire. Son petit pays, trois cirques que cernaient de hautes barrières montagneuses, suscitait l’envie de trop nombreux monarques qui auraient aimé l’annexer en raison de cette maudite porte ! Alors que, jusqu’à présent, ce vestige encombrant se limitait à un simple titre honorifique, cette paroi aussi terne qu’affreuse, en plus d’être convoitée, lui compliquait la vie en lui vomissant un animal miteux, un être bien vivant, une femme de surplus. Ce fâcheux incident risquait de décupler l’intérêt de ceux qui considéraient cet épouvantable symbole jusque là comme un bel ornement dénué de toute fonction réelle. Le roi grimaça. Et encore, si le visiteur avait été une personne normale ! Même pas, il ressemblait plus, comme le disait poétiquement Inou, à un oiseau tombé du nid. Si Kerryen avait bien remarqué les blessures sur sa peau, il ne se sentait nullement attristé par son état, seulement éprouvé par tous les tracas que cette arrivée provoquait déjà. Nécessitait-il une folle de plus dans son entourage ? Bien sûr que non ! Il avait fort à faire entre Inou qu’il peinait à maîtriser et Adélie qu’une incontrôlable énergie animait à chaque instant. Complètement farfelue, cette dernière vivait en permanence dans des mondes imaginaires comme une enfant incapable de grandir. Cependant, quand elle s’absentait, sa fantaisie débordante et ses idées démentielles lui manquaient profondément, même s’il devrait, dès son retour, s’y prendre à plusieurs fois pour être écouté et obéi. Peut-être n’était-elle que sa demi-sœur, mais, avec sa tante, elle représentait son unique famille et le deuxième être le plus important de son existence par ordre de naissance. Après le décès de sa mère, Lothan, son père, était resté seul, impuissant à surmonter la douleur de cette perte. Rapidement, parce que la souffrance le minait, il avait commencé à fuir son chagrin dans l’alcool, lui qui n’avait jamais touché une bouteille auparavant. Soûl, il lui semblait trouver la vie plus belle et ses peines plus supportables. Si, pendant les premiers temps, il était parvenu à alterner les moments de sobriété et d’ivresse, son désespoir le rongeant davantage au fil des années, la consommation de son incontournable remède avait débuté de plus en plus tôt dans la journée. Puis, une nuit de totale griserie, hanté par son insoutenable solitude, il avait plongé dans le refuge de tendresse offert par sa servante attitrée, Chuntie, à peine moins âgée que lui. Fidèle et attentionnée depuis une douzaine d’années, celle-ci prenait soin de son souverain lors de chacune de ses beuveries, nettoyant les résultats de ses excès, calmant ses colères, l’apaisant jusqu’à ce qu’il s’endormît. Pourquoi, ce soir-là, Lothan l’avait-il désirée et pourquoi lui avait-elle cédé ? Ces questions n’obtinrent jamais de réponse, mais, à la stupeur de tous et d’elle en premier, elle était tombée enceinte, puis, contre toute attente, cette grossesse tardive s’était bien déroulée, nouant un lien imprévu entre elle et son père. Bien sûr, suivant les règles de son pays, le roi avait épousé son ancienne domestique et s’était acheté une conduite en renonçant définitivement à sa consommation trop souvent nocive pour lui et les siens. Pour la première fois de sa vie depuis la mort de la première femme, Lothan semblait avoir retrouvé tout à la fois un peu d’équilibre et de bonheur. Kerryen, à vingt et un ans, avait récupéré une petite sœur inattendue, aux joues toutes roses, sur laquelle il avait reporté tout l’amour qu’il ne pouvait offrir à sa propre descendance puisqu’il n’en avait pas. Malheureusement, sept ans après la naissance d’Adélie, une attaque avait laissé leur père terriblement diminué. Grâce aux soins quotidiens et attentifs de sa conjointe ainsi qu’à sa robustesse naturelle, il avait péniblement vivoté pendant presque deux ans avant de s’éteindre. Totalement inconsolable, la veuve avait passé ses jours à errer en larmes dans les couloirs du bâtiment principal au point que Kerryen, cédant à une mesure drastique, lui avait fait aménager une jolie demeure avec quelques domestiques à l’extérieur de la ville pour l’envoyer s’y reposer. Au début, Chuntie avait mal toléré sa mise à l’écart de la forteresse, puis Inou lui ayant mieux expliqué les raisons de cette décision que son neveu, elle avait finalement accepté son sort, puis apprécié son existence redevenue paisible loin de ses souvenirs douloureux. De plus, la proximité du château permettait à sa fille chérie de partager sa vie entre les deux lieux.
À présent, installé devant la cheminée dans laquelle quelques bûches achevaient de se consumer, Kerryen se frottait lentement le menton. Comme la porte des temps, sa sœur, presque dix-neuf ans, convoitée par des nobles ambitieux du Guerek ou des royaumes voisins, avait reçu moult gages d’attention contre lesquels il l’avait mise en garde. Jusqu’à présent, elle réservait aux garçons une indifférence sincère, ignorant leurs déclarations pleines d’ardeur et leurs regards enflammés, simulacres de leur hypocrite attirance pour elle. Cependant, si aucun d’entre eux n’était parvenu à réveiller le cœur d’Adélie, le jour viendrait où elle finirait par mûrir et envisagerait d’un œil différent la présence de ces prétendants. Kerryen espérait simplement qu’elle choisirait un homme bon qui la rendrait heureuse et non un de ces fielleux et avides coqs de basse-cour… Trop d’entre eux, au joli minois, possédaient de quoi séduire une jeune fille innocente et rien ne lui apparaîtrait pire que de la voir céder à leurs avances plus intéressées par le pouvoir que par elle. Leurs griffes rayaient les parquets de chêne dans l’intimité, une union avec sa sœur suffirait à les placer au second rang dans l’accession au trône du Guerek et il représenterait le dernier obstacle entre eux et le titre escompté. Kerryen se doutait que, dès cet instant, son existence ne tiendrait plus qu’à un fil ; tant de moyens permettaient de se débarrasser d’un gêneur sans être inquiété. Si seulement il avait été un meilleur souverain… Un bruit de porte lui fit tourner la tête. Comme à son habitude, Inou entra sans frapper et se dirigea d’un pas rapide vers le fauteuil près du sien, s’y laissant choir sans plus de cérémonie. Elle paraissait fatiguée, mais satisfaite.
— Hélà, Kerryen.
— Hélà, Inou. Quelles nouvelles m’apportes-tu du petit monde de notre château ? demanda-t-il d’une voix ironique.
Inou lui jeta un regard en biais et, après une légère hésitation, se lança :
— D’abord que tu n’es pas un aussi mauvais roi que tu veux bien le croire.
Kerryen serra les dents. C’était reparti pour la leçon du jour ! Il avait passé l’âge des remontrances et, si elle n’avait pas été Inou, il l’aurait aussitôt remise à sa place. Il réprima le mécontentement qui montait en lui et répliqua vertement :
— Ce n’était pas l’objet de ma question.
— Peut-être… Mais c’était celui de ma réponse ! Cesse de te dévaloriser tout le temps. Cette attitude négative ne sert personne et même pas toi. Tu ne demeureras probablement pas dans l’histoire du Guerek comme le plus grand de ses monarques, mais tu auras accompli un travail juste et honnête pour le bien des tiens. Rien que pour ce motif, tu es et resteras respecté…
Silencieux, il serra les dents. D’ailleurs qu’aurait-il pu lui rétorquer ? Elle le surprenait toujours par sa façon de deviner ses pensées, même s’il n’aimait pas imaginer qu’elle pût décrypter à ce point aisément des sentiments encore plus intimes… Légèrement énervé, il l’observa avec attention, puis se radoucit aussitôt. Il n’avait jamais compris la raison profonde qui avait poussé cette femme, intelligente et de commerce agréable, s’il exceptait son fichu caractère envers lui, à tout abandonner pour l’élever, sans même sembler en éprouver le moindre regret. Malgré son âge, une quinzaine d’années de plus que lui, un visage à peine ridé par le temps lui donnait un air serein et bienveillant tout en lui conservant une jeunesse apparente. Ses yeux, d’un bleu plus clair que ceux de sa défunte sœur, se logeaient sous deux sourcils parfaitement tracés, eux aussi parsemés de fils blancs. Avait-elle toujours possédé cette allure-là ou avait-il oublié à quoi ressemblait la fille de vingt ans ? Il essaya de se la rappeler, mais les souvenirs de son arrivée restaient flous dans la mémoire de l’enfant de sept ans de cette époque, bien trop absorbé par la douleur d’avoir perdu sa mère. Comme l’unique point tangible de son existence qui venait de basculer, il s’était agrippé à elle pour ne pas être emporté par les chagrins qui se succédaient : la disparition d’Ashabet, le déclin progressif de Lothan…. Encore aujourd’hui, quoi qu’il advînt, elle lui donnait l’impression d’être immuable, le pilier le plus solide de sa vie, celui auquel il se raccrochait pour ne pas être détruit par ses responsabilités de monarque quand celles-ci le dépassaient. Comment pouvait-il lui reprocher de lire si clairement en lui, alors qu’il avait tant partagé avec elle, que, adolescent, il s’était toujours livré en profondeur même si, à présent adulte, il tentait vainement d’inverser la tendance, de moins la solliciter avec le souhait presque irréaliste de devenir un roi à part entière ? Cependant, parallèlement, il continuait d’avoir besoin d’elle. Il se confrontait à un souci, elle lui proposait une idée, celle qui résolvait tout. Si lui seul n’aurait pas osé l’utiliser, exprimée par Inou, cette dernière apparaissait comme l’imparable solution logique… Pouvait-il contourner le fait que, malgré son désir irrépressible de tout savoir sur tout et en particulier sur lui, elle restait aussi sa meilleure alliée, presque providentielle, avec son irremplaçable sens commun ? Une nouvelle fois, il prit le temps de l’observer, tandis que les yeux d’Inou fixaient les flammes. Il se demanda si elle se doutait qu’il l’examinait avec autant d’attention et d’amour. Dans sa robe de tous les jours, elle lissait d’un geste presque mécanique le tissu pour en effacer tous les plis. Il aurait pu lui offrir des tenues tellement plus élégantes en raison de l’importance de son rôle dans le château, mais elle refusait toujours, excepté quand, son vêtement devenant trop élimé, elle acceptait de s’en acheter un neuf, identique à celui auquel elle renonçait, simple et uni.
— Alors, comment comptes-tu agir ?
La voix d’Inou lui parvint lointaine et irréelle ; un moment se révéla nécessaire à Kerryen pour comprendre qu’elle s’adressait lui et pour repasser dans sa tête les mots qu’elle avait prononcés.
— À quel sujet ?
— Pour la porte, en tout premier.
— Dorénavant, pour éviter toute intrusion du côté de la forteresse, la sécurité de la salle sera renforcée par trois larges madriers supplémentaires barrant l’unique vantail. Quatre hommes en arme pour la surveiller de l’intérieur et donner l’alerte et cinq dehors pour défendre l’accès. Dernier problème à résoudre, inventer un nouveau titre honorifique pour ce pauvre Yogir, à présent dépossédé du sien… Le maintenir gardien de cette porte après les événements de la journée amènerait son cœur fragile à lâcher. Il lui faut un environnement calme.
Kerryen ne partagea pas avec elle le système qu’il avait imaginé pour pouvoir observer la pièce sous tous ses angles sans y entrer. En associant judicieusement plusieurs miroirs et une longue-vue un peu spéciale montée sur pivot et orientable grâce à une manivelle, il deviendrait possible de distinguer tous les recoins du lieu, une fois le bahut enlevé, de l’extérieur. Le croquis rapide qu’il avait esquissé se trouvait, à l’instant même, dans sa poche et, un léger sourire de satisfaction aux lèvres, sa main glissa sur le renflement qu’il y provoquait. Voilà quelle aurait dû être sa destinée : étudier les sciences et construire ce qui n’existait pas encore. Inventer ! Par malchance, il était devenu roi et son laboratoire enrichi depuis son enfance ne recevait plus que la visite des araignées. Le seul plaisir qu’il avait conservé restait, juste avant de s’endormir, d’élaborer l’agencement de mécanismes innovants et d’outils inédits. Qu’il aurait aimé sa vie s’il avait pu la consacrer à la créativité ! Son regard croisa celui d’Inou, dont il se douta qu’elle avait suivi le cheminement de ses pensées et il la remercia intérieurement d’avoir évité de le pimenter de ses réflexions personnelles. Elle reprit la parole :
— Et pour notre ennemi nordique ?
— Mes informateurs seront revenus dans deux mois au plus tard et je disposerai de nouvelles précises sur l’avancée de cet empereur. Si la gravité de la situation est avérée, il sera toujours temps de rencontrer ceux qui gouvernent les pays voisins du Guerek.
— Je ne crois pas qu’attendre des certitudes pour démarrer une analyse détaillée et envisager une défense collective soit raisonnable…
— Je ne peux pas arriver avec des rumeurs, peut-être sans fondement !
— Sauf qu’elles me paraissent plus que des histoires pour se faire peur. Même si les faits se révélaient moins sérieux que prévu, examiner avec eux les différentes possibilités d’attaque et établir des stratégies pour chacune représenteraient un préalable indispensable au cas où…
Le roi plissa ses yeux, évaluant la proposition de sa tante. Comme souvent, elle avait vu juste. Dès maintenant, il devait entreprendre cette planification tout de suite, car patienter trois ou quatre mois de plus pourrait être fatal au Guerek. Pourtant, ce temps de réflexion supplémentaire lui semblait nécessaire pour mieux cerner ses amis et ses ennemis. Si Inou lisait si bien en lui, il n’avait pas le talent de déchiffrer les intentions secrètes des inconnus. Il songeait qu’untel serait probablement un traître à sa cause ou un allié, mais il ne possédait jamais de certitudes et ses doutes empoisonnaient en permanence ses modestes tactiques. Quelles mauvaises décisions allait-il encore prendre dans la précipitation ou, plus grave, par ignorance ?
— Je te l’accorde, Inou. Je vais réunir nos plus proches voisins rapidement. Autre chose ?
— Allora ?
Kerryen blêmit. Aussitôt, il se leva et commença à arpenter la pièce au pas de charge, visiblement énervé.
— Je croyais avoir été assez clair à ce sujet. Je ne me remarierai pas ! Ni avec Allora de Srill ni avec quiconque. J’ai déjà goûté à l’indicible bonheur de la vie de couple, cette expérience m’a suffi pour toute une existence !
— Tu dois donner un héritier au Guerek, insista Inou.
— Adélie s’en chargera ! Attirante et enjouée, elle trouvera bien un homme qui lui fera plein d’enfants, dont le successeur au trône que tu souhaites tant.
Sur le visage d’Inou apparut un cillement fugitif qui déplut à Kerryen. Cependant, submergé par d’autres soucis, il n’approfondit pas la question. Sa tante reprit :
— Je pense que, pour l’instant, le sujet ne l’intéresse pas du tout. Elle reste vraiment très… jeune dans sa tête.
« Carrément immature » songea-t-il, conservant son commentaire pour lui. Pourtant, une conclusion s’imposa, alors qu’il aurait voulu s’en dispenser. Peut-être vaudrait-il mieux pour Adélie qu’il se remariât. Ainsi, il éviterait à sa sœur de devoir se retrouver dans une situation délicate comme la sienne, celle d’accepter une union en croyant le satisfaire, mais sans l’avoir désirée, et qui déboucherait sur une monumentale erreur. Dix ans environ après la mort d’Ashabet, son père, dans un de ses moments de lucidité, avait décidé qu’il était temps pour son héritier de convoler en justes noces. Si Kerryen avait toujours été persuadé que l’idée lui avait été soufflée, il n’était jamais parvenu à savoir par qui. Lothan lui avait présenté l’affaire avec conviction, lui expliquant que la femme qu’il avait préférée, particulièrement charmante, intéressante et un peu plus âgée que son fils, constituerait un superbe parti. Il lui avait rappelé à quel point sa mère et lui s’étaient follement aimés, alors qu’ils ne s’étaient jamais rencontrés avant leur mariage. Influencé par l’enthousiasme de Lothan, Kerryen avait fini par accepter cette proposition, malgré la réticence clairement affichée d’Inou qui le considérait, à dix-sept ans, bien trop jeune pour épouser quiconque. En dépit de ses efforts pour effacer jusqu’à son image, le roi se souvenait parfaitement de cet instant où Guisaine était apparue dans sa vie pour la première fois. Vêtue d’une robe bleue qui illuminait ses prunelles myosotis, elle s’était dirigée vers lui de sa démarche gracieuse, quelques boucles blondes flottant sur ses épaules au gré d’une brise légère. Son regard radieux plongeant dans le sien, elle lui avait souri et, aussitôt, le souffle suspendu, il avait sombré corps et âme, littéralement envoûté. À l’époque, totalement naïf, il ignorait tout de la perversité féminine autant que des choses de l’amour. Pourtant, il n’avait pas douté une seconde de la force des sentiments qu’elle lui avait inspirés, son cœur inexpérimenté s’affolant au moindre frôlement de leurs yeux ou de leurs mains. Avec une redoutable efficacité, son père avait fait procéder à leur union, ravi de la bonne fortune de son garçon. Avec le recul, Kerryen se rendait compte de son propre aveuglement. Ensorcelé par la grâce naturelle de sa future épouse, il avait sciemment négligé nombre de petits détails qui auraient dû l’alerter pendant les quelques jours précédant la célébration, mais, tout à ses émois juvéniles, il s’était uniquement réjoui de cette vie qui, pour une fois, s’était occupée de son bonheur après tant d’heures délicates. Hélas, sa félicité s’était révélée de très courte durée, puisqu’elle s’était achevée exactement le lendemain de leur mariage…
Le soir de la cérémonie, dans leur chambre nuptiale, Guisaine s’était avancée vers lui, auréolée par les lueurs chaudes du soleil couchant et à peine dissimulée par le voile presque transparent de sa tenue, livrant au regard du prince tous les secrets de son excitante anatomie, la rondeur de ses seins fermes, la courbe de sa chute de reins qu’effleurait sa longue chevelure dénouée, le creux sombre entre ses cuisses. Elle, si femme et si sûre d’elle, et lui, toujours adolescent, gauche et si incertain. Alors que leurs corps se frôlaient, il avait dégluti avant de succomber au contact de ses lèvres comme de ses mains expertes qui attisaient chaque parcelle de sa peau, réveillant une envie physique impérieuse et inédite. Frissonnant de désir comme de peur, il avait découvert que, derrière l’émotion d’une rencontre, pouvait se cacher une passion ardente et sincère que chacun de ses gestes, au début maladroits, avait peu à peu reflétée avec plus d’assurance, tandis que se libérait irrémédiablement l’amour qu’il éprouvait pour elle. De ce moment ineffable, il se souvenait encore de chaque détail même s’il y songeait rarement et sans regret, de leurs baisers langoureux, de leurs caresses brûlantes, des coups de reins jouissifs qui avaient définitivement uni leurs corps dans l’exploration d’un plaisir qui lui était jusqu’alors inconnu. Au cœur de la nuit, profondément épanoui et plus heureux que jamais, il avait glissé dans un sommeil empli de rêves merveilleux et de promesses éternelles. Au petit matin, alors que son envie d’elle renaissait, Guisaine l’avait éconduit aussitôt, prétextant la fatigue trop importante de la veille. Pourtant, à peine une heure plus tard, la voix de son épouse prenait possession des lieux et résonnait dans tout le château, ordonnant, exigeant et bousculant tout dans son sillage. Quand le soir venu les avait de nouveau réunis dans la chambre nuptiale, sensuelle et suggestive, sa femme avait ressorti le grand jeu, et, en une fraction de seconde, Kerryen avait tout effacé de la seconde facette de celle-ci, nettement moins attractive que la première. Tandis qu’entre deux baisers passionnés, elle lui avait soufflé son besoin de renouveler totalement sa garde-robe, il l’avait peu écoutée, submergé par son désir. Cependant, lorsqu’elle avait réitéré sa requête avec insistance, cette dernière s’était enfin frayé un chemin dans son cerveau embrumé par l’amour. Refusant encore d’accepter la signification de ses paroles, il s’était figé, puis écarté de Guisaine légèrement afin de pouvoir observer ses yeux.
— Que veux-tu dire exactement ? avait-il demandé, les sourcils froncés.
Sûre d’elle et de son pouvoir sur lui, elle avait redressé son magnifique buste et l’avait fixé avec étonnement, s’interrogeant manifestement sur la façon de lui répondre. Dans une première approche fondée uniquement sur la séduction, elle avait dévoilé en quelques gestes très étudiés les plus beaux de ses attraits, puis, langoureuse, s’était frottée délicatement contre lui, enflammant complètement le corps comme l’esprit de Kerryen une nouvelle fois. Pourtant, un instant plus tard, sur le point de s’abandonner physiquement, il était parvenu à s’éloigner d’elle. Où avait-il été cherché sa volonté de lui résister ? Dans l’amour de son pays ou son sens du devoir ? Quelle qu’en fût la raison exacte, ses sentiments s’étaient éteints en une fraction de seconde et, dès cet instant, il avait décidé de ne plus jamais lui céder. Sous la surprise, les traits de Guisaine s’étaient violemment crispés ; visiblement, la jeune femme n’avait pas l’habitude de voir ses exigences contrariées. Le cœur contracté de souffrance, ce constat troubla Kerryen un peu plus, décuplant ses doutes sur la nature réelle de son épouse. Repoussant ses longues mèches blondes dans son dos, sa tête rejetée en arrière, totalement impudique, Guisaine avait parcouru sa peau à demi dénudée de ses mains, provocante, puis elle l’avait fixé.
— Admire-moi. N’oublie jamais à quel point je suis désirable et tellement unique… En une nuit, je t’ai offert plus de plaisir que tu n’en as jamais connu de toute ton existence. Crois-tu vraiment que j’aurais pu me lier à l’héritier d’un minuscule royaume sans en espérer d’autres avantages ? Regarde-toi, hier soir, puceau et, aujourd’hui, déniaisé. Grâce à moi, tu apprécies à présent le goût particulier du sexe et de la jouissance. Personne ne pourra te l’enseigner mieux que moi…
Tout en l’écoutant, aussi mal à l’aise que malheureux, Kerryen avait rougi jusqu’à la racine de ses cheveux, désespéré de voir le plus merveilleux de ses rêves irrémédiablement brisé. Elle avait planté ses yeux dans ceux du jeune homme.
— Je veux cette garde-robe tout de suite, sinon…
— Sinon quoi ?
Elle l’avait observé une nouvelle fois, étonnée de la maîtrise dont il faisait preuve et dont elle le pensait incapable. Estimant ses propos suffisamment explicites, elle avait cependant ajouté :
— Sinon tu ne me toucheras plus jamais…
— Si je résume, je dois te payer pour que tu sois ma femme et, accessoirement, dilapider le trésor du Guerek à cet effet.
— Parfaitement, et j’en vaux la peine… Songe aux multiples délices que je t’amènerai à découvrir encore, à toutes ces nuits où tu compteras une par une toutes les facettes du plaisir…
— Non, avait-il déclaré, je ne t’achèterai pas. Tu n’obtiendras rien de moi, jamais.
Alors qu’il s’éloignait du lit, totalement effondré, Kerryen n’avait plus discerné le plus douloureux pour lui, de comprendre qu’elle l’avait épousé uniquement pour son rang et ses richesses, d’éprouver l’insupportable impression qu’il ne pouvait être aimé pour lui-même ou que sa première et ardente passion avait ressemblé à une illusion qu’avaient généré sa trop grande candeur, son épouvantable bêtise et l’incontrôlable appétit de ses sens. Il ne seyait pas à un roi de se comporter avec autant de faiblesse. À cet instant précis, il avait renoncé aux sentiments, aux femmes en général et à la sienne en particulier.
Dès cet instant, pour y dormir, il avait rejoint la petite pièce contiguë à leur chambre, normalement réservée à un éventuel valet, qu’il n’avait plus quittée pendant toute la durée de leur union, c’est-à-dire presque quinze longues et terribles années. Étonnamment, rien de leur mésentente n’avait jamais transparu à l’extérieur. En effet, au cours des événements qui les réunissaient en public, le paraître reprenait le dessus, et Guisaine et lui formaient le couple parfait. De son côté, elle savait se montrer adorable, déployant tous ses charmes pour attiser l’intérêt en général et, pourquoi pas celui d’un autre homme dans sa vie pour remplacer le sien. Ainsi, Kerryen avait mûri très vite, comprenant les besoins de sa reine mieux qu’elle-même. Si elle n’avait pas voulu de lui dans son lit, personne n’irait la satisfaire ; il y veillerait personnellement. La guerre entre eux avait ressemblé à une tragédie sous le sceau de la haine et du silence, tandis que Kerryen maudissait son père de les avoir unis.