Aila a grandi dans le comté d'Antan, élevée par son oncle et entourée par Mélinda, la châtelaine et Hamelin, le mage du comté. Sa volonté est de devenir une combattante et, poussée par son oncle, elle participe à des joutes orchestrées dans le but de sélectionner les membres de la garde rapprochée du roi Sérain d'Avotour. Finalement choisie, elle commence par être envoyée en mission en compagnie du fils aîné du roi, Hubert. Peu à peu, ses talents de combattante empruntent des voies inhabituelles qui semblent décupler ses sens et sa perception du monde qui l'entoure. Troublée, elle ne découvre que plus tard l'origine de tous ces bouleversements, liée aux pouvoirs que les fées partagent avec elle à son insu. Dorénavant, la vie en a décidé pour elle, elle n'aura plus qu'autre choix que celui d'accepter ses nouvelles aptitudes et toutes les conséquences, bonnes ou moins bonnes, qu'elles induiront.
L'heure est grave. Venu du nord, un empereur, Césarus, avance vers eux pour conquérir Avotour et tous les pays environnants. Il apparaît si puissant que tous doutent de leur capacité à le contrer. Convaincu de la nécessité de créer des alliances même avec leurs ennemis de toujours, Sérain d'Avotour envoie son fils cadet, Adrien, en compagnie d'Aila, vers le pays hagan. La route des deux compagnons emprunte des chemins de traverse et amène la jeune fille à semer dans les esprits des villageois le souffle d'un espoir insensé : pour lutter contre Césarus et pourquoi pas le vaincre, la seule solution réside dans le fait de s'allier et de se battre tous ensemble pour la liberté.
Parvenue aux frontières du pays hagan, Aila récupère les affaires d'une chamane, Marça, qui vient de rejoindre les esprits de la Terre. À peine la tenue revêtue et la bague passée à son doigt, elle se retrouve dans une grotte, accueillie par une femme cachée dans l'ombre. Cette dernière lui révèle qu'elle est à présent, Topéca, la première chamane guerrière. Aila, sans avoir la moindre idée de ce que signifie être chamane, endosse ce nouveau rôle sans joie… Accompagnée par Adrien devenu Kazar, elle quitte Avotour pour le pays hagan.
Plus rien ne va… Depuis qu'Aila est devenue Topéca, Adrien et elle se parlent à peine. Rapidement, le prince réalise que la jeune femme, une fois de plus, porte sur ses épaules un fardeau beaucoup trop lourd et tente de la réconforter : Aila ne peut pas disparaître aussi facilement derrière Topéca. Rassérénée par les propos de son compagnon, la nouvelle chamane reprend la route sur les sentiers montagneux, le coeur apaisé.
Leur chemin les mène à la rencontre de la tribu Appa dont le chef se nomme Quéra. Dès cet instant, Aila affirme sa nouvelle personnalité : elle est Topéca, la première chamane guerrière et le sol comme le ciel vibrent sous sa puissance au son des clochettes de son kenda. Elle va d'ailleurs prouver rapidement à tous que les esprits de la Terre l'habitent en sauvant les uns après les autres les enfants de la tribu tombés malades. Cependant, chez Topéca comme chez Aila, rien n'est offert aux autres sans qu'elle en paye le prix. C'est sous les regards inquiets des mères de la tribu que la chamane épuise son énergie dans le seul but de préserver des vies.
Mais la lutte ne fait que commencer. Derrière cette maladie insidieuse se cachent l'ombre de sorciers et leur perversité. Face à cette certitude, les détruire peu à peu devient une évidence, mais comment ? À présent, le moment est venu d'en affronter un parmi eux. Mais est-il possible de vaincre ces représentants du mal ? Quelle puissance nouvelle et inédite Aila - Topéca déploiera-t-elle pour y parvenir ?
Dévastée par le tour que prend sa vie, obligée d'abandonner au petit matin le plus beau de ses rêves, Aila reprend la route pour retourner en pays hagan. Tout en elle se rebelle contre cette destinée qui la brise jour après jour, insensible à sa souffrance ou ses désirs. Alors qu'un bruit de sabot retentit sur le chemin, elle découvre avec stupeur la venue de Niamie, la petite fille qu'elle avait sauvée de la sorcellerie au village de Pontet. Mais quelle idée saugrenue a traversé l'esprit de cet Oracle qui a choisi d'entraîner une enfant si jeune dans ses aventures périlleuses ?
Comme pour concrétiser les pensées d'Aila, un premier danger guette le duo et force les deux filles à fuir dans la nuit. Au cours de la journée suivante, alors qu'Aila a dissimulé sa compagne de route, le combat s'engage contre des mercenaires venus pour la tuer et dépêchés par un ennemi qu'elle a, elle-même, tué de ses mains. Les menaces de son ultime ennemi flottent encore dans l'air quand ce dernier fait demi-tour et s'enfuit.
Le retour chez Nestor est douloureux pour Aila. Dans sa mémoire affluent tant de souvenirs émouvants voire éprouvants dont celui, si vibrant, de Topéca qu'elle ne pourra jamais redevenir… L'appréhension de la combattante ne cesse de s’accentuer jusqu’au pied des montagnes et, quand elle s'arrête, pétrifiée par la peur, Lumière continue d'avancer. Quand le premier sabot de son cheval foule le sol du pays hagan, Aila acquiert la certitude que, si elle revient en terre connue, la Terre, elle, ne la reconnaîtra pas…
J'ai fini L'Oracle de Tennesse à 23 h 50 la nuit dernière avec un sentiment de grande joie pour la suite à venir : l'histoire au fil des tomes devient de plus en plus passionnante (mais où vas-tu chercher tous ces rebondissements !!!) Dur, dur de fermer ce tome, j'en voulais encore plus : la fin de l'Oracle est géniale. Chapeau, je me régale autant que si je lisais les Goodkind ou Hobb.
C'est un pur bonheur de retrouver Aila chaque Noël : j'ai ainsi mon cadeau !!! Merci.
Je m'impatiente déja de connaitre la suite, tu t'en doutes, alors… après les fêtes, il faudra se mettre au prochain tome. Non ? J'ai une patience infinie et j'attendrai, j'attendrai, j'attendrai… mais pas trop quand même !!
Avec ce troisième tome l'intrigue se complique pour notre plus grand plaisir ! Celui-ci est dense et même si j'ai eu un peu de mal à me plonger dans l'histoire au début et si j'aurais aimé un découpage du livre plus aéré (changement de chapitre plus fréquent par exemple, surtout lorsqu'on change de lieu et de personnage) j'ai quand même adoré ce livre ! L'Auteure possède une très belle écriture, elle nous fait partager tous les questionnements et tourments des personnages qui sont presque tous attachants (Pas cette horreur de Césarus hein !) J'ai particulièrement aimé dans ce 3e tome le fait qu'on puisse se placer du point de vue d'autres personnages (Hang, Aquiri…) En tout cas bravo et merci pour cette saga !
Sur AmazonPréparez vous à une plongée en apnée de 600 pages
On replonge dans l'histoire d'Aila pour n'en ressortir que 600 pages plus loin. En effet, une fois la lecture commencée on ne décroche plus ! Ce tome, un peu plus cérébral que les précédents (et tout à fait en adéquation avec l'état physique de l'héroïne), fait davantage travailler l'imagination du lecteur pour notre plus grand plaisir. Le suspens est à son apogée à la fin… une seule chose à faire… attendre le quatrième tome !
Passionnée par l'héroïque fantaisie, je suis gâtée !!!
L'histoire est belle, la poésie et le suspense toujours présents. Quel talent !! Chaque tome me laisse en haleine et j'attends la suite avec impatience. À quand le 4e ??
Un très bon 3e tome, avec une Aila qui évolue encore, qui se pose mille questions dans lesquelles chacun peut se retrouver. Des questions qui trouvent leurs réponses, de nouvelles qui se posent, des héros qui vivent des moments de bonheur et de tristesse, du suspense, on se laisse une nouvelle fois complètement transporter au pays des Fées !
Sur AmazonLe troisième tome a été englouti à la même vitesse que les deux précédents. On se replonge à chaque lecture avec bonheur dans cet univers de force et de fragilité. Aila est passée d'enfant à femme mais on ne veut surtout pas la quitter ! Vite, la suite !
Sur AmazonLecteur toujours tenu en haleine dans ce troisième tome comme dans les deux premiers.
Odyssée qui mériterait un succès international voire une adaptation au cinéma ou même en jeu vidéo (pour les duels au kenda cela plairait bcp).
Vivement la suite et la traduction en plusieurs langues.
Après avoir séché des cours pour lire le tome 2, j'ai vécu ma première nuit blanche pour finir le tome 3 (alors que mes vacances de février arrivent !) Formidable, je veux être Aila. Quel roman ! Quelle histoire ! Quels personnages ! Et toutes ces reines…
Bref, lisez ce roman de fantasy mais ne vous faites pas prendre par vos parents en lisant la nuit. Je m'en suis tirée en leur montrant le passage de l'infiniment petit à l'infiniment grand en leur expliquant que je lisais de la science poétique ou de la poésie scientifique. Bingo Ça a marché et ils m'ont laissée finir. Du coup, ils vont lire le tome 1. Et voilà !!!
J'attends la suite avec une très grande impatience. BRAVO !
À l’instar de Kerryen auquel ils ne souhaitaient pas déplaire, les gardes apparurent soudainement beaucoup plus préoccupés par le bout de leurs pieds que par la question posée. Exactement à ce moment, un nouveau venu franchit le seuil. L’observant, un sourire fugitif s’afficha sur le visage d’Inou ; elle venait de trouver son porteur.
— Amaury ! Tu tombes bien !
Le jeune homme s’approcha, désireux de découvrir l’origine de tout ce remue-ménage. Entendant la cloche sonner, il avait donné à son chef un prétexte quelconque pour quitter temporairement son poste et, ainsi, satisfaire sa curiosité. D’abord intrigué, son regard vira immédiatement à la circonspection.
— Nous recevons une invitée, expliqua Inou, passée par la porte.
Amaury leva les yeux vers l’intendante, visiblement surpris.
— Ah bon ! Je croyais que celle-ci ne fonctionnait pas ?
— En général, non, mais, pour cette femme, de toute évidence, si.
Une forme de fierté transfigura les traits du garde.
— Alors, elle doit sûrement être très spéciale…
— Pourrais-tu la transporter dans la salle des baquets ?
— Euh… moi ? Mais…
Pendant un instant, il examina les autres soldats toujours bien décidés à ne pas réagir. Un soupçon d’agacement le traversa. Quelle bande de pleutres ! Il n’était pas du genre à abandonner un être en détresse, même avec un aspect si pitoyable.
— Bien sûr !
— Doucement, mon petit, lui conseilla Inou. Elle semble avoir beaucoup souffert. Yogir, comme je pense que plus personne ne passera par cette porte, un invité en une seule journée me paraît déjà bien suffisant, tu vas prévenir Mira de me rejoindre là-bas. Ah oui ! Et demande à Gigrid de me préparer une soupe chaude, et légère pour une fois ! Et puis…
Inou se figea.
— Par les vents d’Orkys, voilà que je ne sais plus ce que je voulais dire ! Avec un peu de chance, mon idée me reviendra sur le trajet ! Allez, en route !
Jetant un coup d’œil inquiet au bahut, Yogir dansa d’un pied sur l’autre avant de se décider à obéir. Comme le moment demeurait mal choisi pour vérifier si personne n’avait renversé son précieux contenu, résigné, il opina et sortit de la pièce sous le regard pénétrant de l’intendante.
— Vous ! ajouta-t-elle en s’adressant aux soldats, puisque vous avez de toute évidence préféré l’inaction, restez donc sur place à surveiller cette salle au cas où ! Je discuterai avec le roi pour vous relayer quand j’en aurai le temps.
Les visages anxieux des gardes traduisirent leur crainte : Inou les ferait patienter un délai certain avant la relève. L’attention de la tante de Kerryen se reporta sur le jeune homme qui s’accroupissait près de leur invitée.
— Et toi, doucement ! reprit-elle. Une femme, même dans cet état, se traite avec beaucoup de délicatesse.
Alors qu’Amaury cherchait à la saisir, la nouvelle venue se débattit faiblement, puis, dans un gémissement prolongé comme l’expression d’une grande souffrance, s’affaissa sur le sol. L’étendue de ses blessures, cernées par la déchirure du tissu, devint, dès cet instant, totalement visible : ses membres et son dos lacérés, les hématomes que sa peau poussiéreuse laissait entrevoir. Le soldat observa les plaies, souvent profondes, que la lanière avait imprimées dans les chairs. Son cœur se serra, puis, en quelques gestes brefs et expérimentés, il ausculta les os du buste de la nouvelle arrivée, provoquant une plainte légère.
— Une ou deux de ses côtes semblent cassées. Il faudra se montrer vigilant en la transportant pour ne pas aggraver son état, précisa-t-il.
— C’est bien ce que j’espérais, tu seras parfait !
Amaury examina Inou un bon moment pour vérifier sa sincérité, puis accepta le fait qu’elle l’avait choisi. Quand, très progressivement, il déplaça la femme vers lui, celle-ci s’agita un peu avant de cesser définitivement toute lutte. Elle paraissait si faible, si fragile, si désarmée… Glissant ses bras sous ce corps presque inerte, il le rapprocha doucement de son torse, puis se redressa lentement, tandis qu’elle s’abandonnait contre lui. Sans en comprendre la raison réelle, la satisfaction du service rendu ou l’euphorie créée par cet événement inattendu, un profond sentiment de bonheur s’épanouit dans son cœur. Se retenant de laisser éclater ouvertement sa joie, il résista aussi à l’envie de crier aux autres soldats leur incommensurable bêtise. Comment avaient-ils pu rater une pareille occasion ? Devenir l’égal d’un roi en assumant son rôle ! Dorénavant, dans toutes les mémoires, il resterait celui contre qui leur invitée aurait franchi le seuil du château. Sans un seul regard pour ceux qui passeraient certainement leur journée dans ce lieu, il quitta la pièce, suivant Inou dans les couloirs du sous-sol, puis emprunta les marches qui les menaient vers le rez-de-chaussée. Parvenu en haut, il s’orientait vers l’escalier principal quand la tante de Kerryen l’interpella :
— Mais où vas-tu ?
— Vers la salle des baquets, comme vous me l’avez demandé.
— Pas par là ! Nous allons prendre celui de service. Tu imagines, pauvre petite créature, être soumise dans cet état à la curiosité malsaine de tous ces gens. Non ! Par ici !
Par ici, par ici, l’intendante en avait de bonnes ! Dans la montée en colimaçon terriblement étroite, regagner l’étage supérieur relèverait d’un véritable défi. Il resserra son étreinte autour du corps qu’il portait, puis, concentré, négocia avec prudence le virage continu qui le conduisait au premier niveau. À destination, un large sourire illumina son visage : il avait franchi cette épreuve haut la main ! Une fois le couloir longé, il pénétra dans la pièce dont Inou venait d’ouvrir la porte.
— Où dois-je la déposer ?
— Là, sur la banquette. Ah, oui ! Je me souviens ! Fais-moi apporter quelques baquets d’eau chaude et froide au plus vite.
Alors qu’Amaury s’apprêtait à repartir, la voix d’Inou le rappela.
— Comment ferais-tu pour soigner une côte cassée ?
— Si la fracture semble nette, un à deux mois d’immobilisation devraient suffire. Il est possible de bander le thorax pour améliorer la tenue des os, mais, personnellement, je doute de l’efficacité de ce procédé. Dans des cas plus graves, les traitements deviennent plus compliqués. Après, moi, je m’y connais plus en animaux…
— Et comment peut-on savoir si c’est sérieux ou pas ?
— Chez un chien, palper avec application offre une indication fiable. Pour nous, je suppose que c’est pareil.
— Oui, mais, là, ce n’est pas un homme…
Inou tordit sa bouche de droite à gauche et réciproquement plusieurs fois. Ce tic qu’elle ne contrôlait pas apparaissait quand, embarrassée, elle réfléchissait à la meilleure décision à prendre dans une situation qui l’ennuyait.
— Et tu pourrais déterminer exactement l’étendue de ses blessures sans… enfin, à travers ses vêtements ?
— Probablement…
— Bon alors, vas-y, mais gare à toi si je te vois mettre tes mains à des endroits qui ne sont pas pour toi !
— Oh, dame Inou, j’ai quand même vingt-sept ans ! Je ne suis pas un de ces puceaux en manque de découverte !
— Oui, mais tu n’es pas marié.
— Non, et c’est un bienfait, car, si ma femme apprenait que j’en touche une autre qu’elle, je serais reçu à coups de bâton ce soir à la maison ! s’exclama-t-il, l’air amusé.
Redevenu sérieux, il s’approcha du corps et commença son examen sous l’œil vigilant d’Inou qui n’attendait qu’un dérapage pour taper sur ses doigts. Il palpa les os au mieux pour ne pas provoquer la colère de la tante de Kerryen, vérifiant le sternum, les clavicules et une partie de la colonne vertébrale. Cependant, il profita d’un moment d’inattention de l’intendante, quand Mira pénétra dans la pièce, pour achever son inspection sous des zones plus charnues.
— Alors, verdict ? demanda-t-elle, tandis qu’elle le scrutait à nouveau.
— Deux côtes fêlées selon moi. Dans un bon mois, il ne devrait plus rien y paraître.
— Bien, maintenant, tu sors, nous allons nous occuper d’elle et n’avons pas besoin d’un homme dans nos pattes. Allez, ouste !
Aidée par la servante, Inou découpa chacun des vêtements pour pouvoir les ôter sans blesser la femme. Alors que, peu à peu, la morphologie de cette dernière, trop maigre à son goût, mais aux muscles fermes et bien dessinés, se dévoilait, le cœur d’Inou se serra davantage. Sur sa peau apparaissaient en de trop nombreux endroits des traces de coups et de flagellation, une alternance entre l’aspect marbré des hématomes et les marques sanguinolentes des plaies suintantes. La personne qui l’avait torturée ainsi avait utilisé toute son énergie pour la détruire autant physiquement que psychiquement… Attentive, elle observa un instant le corps dénudé, cherchant à lui faire correspondre un âge à défaut d’un nom. Trente ans peut-être, car son anatomie ne semblait pas celle d’une toute jeune femme, mais une détermination avec exactitude se révélait naturellement impossible. Cependant, Inou ressentit le besoin de lui créer une identité, d’abord pour lui redonner son statut d’être humain et, ensuite, dans l’espoir d’aider cette femme meurtrie à se reconstruire. Pour l’instant, celle-ci ne parlait pas, mais, peut-être plus tard, parviendrait-elle à se présenter, leur raconter son histoire comme leur expliquer pourquoi elle était arrivée jusqu’à eux. L’intendante soupira légèrement en songeant à la tâche à accomplir, sans la malmener, puis, avec une grande délicatesse, sa main munie d’un chiffon enduit de savon, elle commença par nettoyer sa peau d’un geste doux. Petit à petit, elle ôta la poussière pour rendre ses plaies bien propres. Son invitée se laissa tourner, puis retourner, gémissant à chaque mouvement qui l’amenait à souffrir, totalement inerte le reste du temps. Inou lava le peu qui demeurait de sa chevelure, puis s’appliqua à en égaliser la longueur, une coiffure bien nette à présent, mais dénuée d’élégance, selon elle. En tout cas, avec ses mèches toutes courtes dont une plus claire que les autres, presque blanche en fait, sa protégée ressemblait plus à un adolescent qu’à une femme. Une fois la toilette achevée, se souvenant des propos d’Amaury, Inou hésita à lui bander le thorax. De nouveau, sa bouche se contorsionna, puis elle décida qu’elle l’avait déjà suffisamment ennuyée. Aidée par Mira qui l’assistait depuis le début, elle enfila sur le corps blessé une large chemise, puis le recouvrit d’un carré de laine pour le réchauffer. Aussitôt, comme si elle avait compris que les soins étaient terminés, la nouvelle venue se recroquevilla sur elle-même, enserrant le tissu entre ses bras comme pour se préserver. Songeuse, Inou demeura un instant à l’observer, se demandant comment elle se débrouillerait pour démontrer à Kerryen son attitude irresponsable et l’amener à en changer. Son neveu pouvait être têtu, mais elle se sentait capable de l’être encore plus que lui. Tant pis ! Si ce dernier avait refusé d’endosser le rôle qui lui était dévolu, en digne tante d’un roi, elle reprendrait le flambeau et deviendrait pour leur visiteuse la plus extraordinaire des hôtesses. Mais, gare à lui, elle ne laisserait pas le souverain du Guerek échapper à sa mission sans le pousser dans ses retranchements ! Malgré son absence manifeste d’intérêt, tôt ou tard, elle finirait par lui opposer des arguments qui le feraient plier. À présent, par quoi devait-elle commencer ?
— Mira, tu restes avec elle le temps que je règle tous les détails. Tu entends : tu ne la quittes pas des yeux ! C’est bien compris ?
La menace n’apparaissait que de pure forme ; elle pouvait se fier à la servante qui, dans les faits, avait largement dépassé ce simple niveau de responsabilité. La jeune femme se différenciait complètement des autres filles de son âge, plus concernée par le travail de qualité que par les beaux minois, car, pour Mira, prouver sa valeur représentait l’unique objectif de son existence. Arrivée à Orkys depuis six ans, après deux années partagées entre observation et prise d’initiatives, elle s’était peu à peu rendue indispensable et secondait l’intendante du château avec efficacité. Discrète et omniprésente, elle parvenait même à devancer les demandes quand elle ne proposait pas, du bout des lèvres pour ne pas paraître impolie, quelques suggestions ingénieuses qu’avec l’accord d’Inou elle s’employait à faire appliquer au nom de cette dernière. La tante de Kerryen avait bien conscience du mérite de la domestique, mais, jusqu’à présent, n’avait toujours pas récompensé celui-ci par une promotion explicite.
Quand Inou revint dans la salle des baquets avec Amaury, elle s’était occupée de tout. Tout d’abord, elle avait ordonné le déplacement d’un lit initialement dans une chambre vacante vers la sienne. À peine le temps de grignoter à toute vitesse son déjeuner dans la cuisine de Gigrid, vérifiant au passage que la soupe avait été préparée selon son souhait, puis elle était repartie avec des idées plein la tête pour apporter davantage de confort à sa protégée, comme l’installation d’un large paravent entre leurs couchages afin de leur préserver un minimum d’intimité. Une fois les derniers détails finalisés, Amaury avait de nouveau été sollicité pour ramener la femme chez elle. Mécontent de se voir dérober un de ses hommes, le chef des gardes, Jiffeu, avait clairement manifesté sa désapprobation avant de finir par abdiquer en raison de l’implacable détermination d’Inou. Pour lui, cette femme s’apparentait à un monstre en jupons. Avec un aplomb absolu, elle ne lâchait jamais prise sans avoir emporté le morceau et lui, malgré l’autorité de son statut, ne parvenait pas à lui résister. Cependant, attestant d’un indéniable courage, il s’était opposé à elle juste ce qu’il fallait pour ne pas perdre son honneur dans cette confrontation. Chacun le savait, dans la façon de se comporter d’Inou, l’ordre restait en permanence sous-jacent derrière la demande et bien fou aurait été celui qui s’y serait trompé. Au Guerek, après le roi se dressait incontestablement l’intendante, à moins qu’elle fût régulièrement devant lui… Donc, à contrecœur, Jiffeu lui avait cédé son garde et elle l’avait emmené, lui précisant en s’éloignant qu’elle le conserverait jusqu’à nouvel ordre. Sur le chemin, elle avait transmis à Amaury toutes les consignes qu’elle entendait l’amener à strictement respecter.
À présent auprès de la femme, toujours recroquevillée, Amaury s’exécuta. S’occuper de ce drôle de petit être amusait l’homme. D’une part, pour l’indéniable transformation de son quotidien depuis l’arrivée de celle-ci et, d’autre part, pour la notoriété inattendue qu’elle lui offrait. Depuis la fin de la matinée, tout le monde venait discuter avec lui pour recueillir ses impressions et écouter sa description de celle que tous les résidents du château avaient déjà baptisée la dame de la porte. Connaissait-il son véritable nom ? Possédait-elle vraiment des cheveux qui lui tombaient jusqu’aux pieds et une robe aussi scintillante que les étoiles ? Détenait-elle des armes extraordinaires ? Ses prunelles flamboyaient-elles d’une lueur intérieure ? L’imagination fertile des habitants de la forteresse allait bon train et le roi devrait batailler ferme pour arrêter les rumeurs les plus folles s’il tardait un peu trop à intervenir. Soucieux de la justesse des faits, le garde avait répondu honnêtement, enfin, jusqu’au moment où, Estia, la belle Estia, la merveilleuse, l’ensorcelante avait posé son regard de velours sur lui, s’approchant même tout près pour échanger quelques mots. Là, pour elle, il avait ressenti l’irrésistible envie de s’inventer mille prouesses pour, ainsi, briller à ses yeux pour l’éternité… Tandis qu’il cherchait comment se mettre en avant, l’image de cette femme blessée avait traversé son esprit et, finalement, il avait renoncé à travestir la vérité, songeant que ses mensonges pourraient lui nuire, alors qu’elle semblait déjà avoir tant souffert. De plus, avait-il vraiment besoin de paraître plus qu’il était ? À présent, tous ceux qui, par fidélité au roi, avaient hésité à obéir à Inou s’en mordaient les doigts, quand il se réjouissait de s’être montré au bon moment, au bon endroit. Pour une fois que la chance lui souriait ! Empli de reconnaissance, pendant qu’il la transportait dans ses bras vers la chambre de l’intendante, il baissa ses yeux vers leur invitée à l’instant même où elle entrouvrait brièvement ses paupières avant de les refermer. Pendant une fraction de seconde, leurs regards se croisèrent. Pétrifié, il s’immobilisa, car, dans ses prunelles sombres, scintillaient comme des étoiles… Finalement, l’imagination fertile des habitants de la forteresse n’aurait pas tout inventé.
— Tu viens ou non ? protesta la tante de Kerryen quand elle s’aperçut qu’il ne la suivait pas.
S’excusant, il reprit le chemin vers sa destination, tout à la fois troublé et incertain de sa perception. Peut-être ne l’avait-il que rêvée ? Et pourtant dans son esprit flottaient toujours d’incroyables paillettes dans un ciel nocturne. Cette fois, quand il déposa la femme sur le lit, ses mouvements s’accompagnèrent plus de déférence que de prévenance. Seule une extraordinaire personnalité pouvait détenir des iris à ce point merveilleux. D’un geste délicat, il remonta la couverture sur elle, cherchant de nouveau à croiser ses yeux, mais, repliée sur elle-même, les paupières fermées, elle ne lui prêta aucune attention.
— Que puis-je faire de plus pour vous, dame Inou ? s’enquit-il.
Le cerveau de la tante de Kerryen fonctionnait à plein régime. Dans sa volonté de prendre soin de son invitée, deux idées venaient de germer en parallèle dans sa tête, l’une concernait les blessures de leur protégée, la seconde, Amaury.
— Rends-toi chez l’herboriste de la cité pour récupérer deux pommades, la première destinée à accélérer la cicatrisation des plaies et l’autre la disparition des hématomes, mais uniquement celles fabriquées par Mukin.
— Je ne crois pas que mon chef m’accordera une sortie en ville…
— Mais tu ne vas pas lui demander son avis. As-tu bien écouté ce que je lui ai déclaré : je te garde jusqu’à nouvel ordre. Et si par hasard il s’y opposait, dis-lui de me présenter au plus tôt ses doléances.
Amaury retint un sourire. Quel phénomène que cette femme ! Une personnalité d’une grande générosité, mais aussi inflexible que son neveu. D’ailleurs, la relation entre eux s’accompagnait souvent d’étincelles que le bruit de leurs disputes régulières, rebondissant entre les murs dans le château, révélait sans la moindre discrétion. L’homme se permit de douter que le roi l’emportât sur elle à chacun de leurs conflits. En revanche, tout le monde filait droit quand l’un ou l’autre donnait un ordre et les éventuelles contestations de Jiffeu s’éteindraient d’elles-mêmes.
— De plus, poursuivit-elle, je vais avoir besoin de quelqu’un pour veiller sur notre invitée. Est-ce que ce poste à plein temps te tenterait ?
La question n’apparaissait que de pure forme, puisqu’Inou avait déjà décidé pour lui. Cependant, tout en la fixant, Amaury fronça les sourcils. À quoi pensait-elle exactement ? Que, ce faisant, il cesserait de vivre la vie d’un simple soldat, qu’il éviterait les nuits en dortoir, les gardes sur les remparts balayés par le vent et glacés par le froid de l’hiver ou la torride chaleur estivale pour les remplacer par un confort douillet en intérieur… Et puis une charge honorifique, si jeune, pourrait définitivement changer le regard de la voluptueuse Estia sur lui…
— Naturellement ! répondit-il immédiatement.
— J’en parlerai à Kerryen au plus vite. À partir de maintenant, te voici promu à cette nouvelle fonction à laquelle, d’ailleurs, je devrais trouver une dénomination adaptée. Parfait ! Descends à la cuisine et rapporte-moi le potage et une cuillère avant de partir en ville. Je vais remplumer notre bel oiseau…
Malheureusement, tous les efforts d’Inou pour nourrir sa protégée se révélèrent vains. Celle-ci demeurait complètement prostrée. Dépitée, l’intendante songea qu’elle recommencerait plus tard, tandis que, dans son esprit, toutes les tâches à effectuer d’ici le soir s’affichaient les unes après les autres. Cette incroyable arrivée avait occasionné bien trop de retard sur son programme de la journée. Elle appela Mira pour veiller sur leur invitée, lui précisant qu’Amaury la relaierait à son retour. D’ailleurs, juste avant, elle devait remettre la main sur lui pour une leçon de morale. Elle tenait les hommes, jeunes et célibataires de surcroît, en piètre estime, s’en méfiant comme d’une maladie grave et incurable ; elle les considérait comme incapables d’adopter une attitude convenable dès qu’un joli jupon rentrait dans leur champ de vision. Au Guerek, à sa grande fierté, les lois protégeaient les femmes des conduites infâmes des messieurs, même si elle avait conscience que celles-ci ne permettaient pas d’éliminer toute la muflerie de leur part ; le harcèlement pouvait prendre tant de facettes dans l’imagination fertile, voire subtile, des cortex masculins. Garant de ces règles, Kerryen devait chaque jour préserver la gent féminine de l’obscurantisme des mâles et de leur comportement rétrograde justifié par d’archaïques dogmes qui perduraient dans certains esprits atrophiés ; trop de personnes encore avaient oublié de s’élever moralement et s’égaraient dans les bas-fonds de la pensée malfaisante et pernicieuse. Prônant un idéal supérieur, son pays promouvait l’honneur de ses représentants dans le respect des dames et, selon Inou, bien d’autres nations auraient dû s’en inspirer. Il suffisait de se rendre dans les contrées environnantes pour comprendre à quel point la vie de ces dernières pouvait devenir épouvantable quand les hommes laissaient leurs plus vils instincts les emporter. Un frisson la parcourut, alors qu’elle songeait principalement à l’abjecte conduite d’Eddar, jeune souverain de l’Entik. Sa terrible réputation avait sans conteste franchi les frontières du Guerek et les récits qui relataient le sort de la population en général et celui des femmes en particulier l’amenaient à frémir de colère et de dégoût ; tant de gestes déplacés et de décisions condamnables qui plongeaient les habitants dans une profonde misère, tant physique que morale. Certaines rumeurs colportaient même que, dans son château, la luxure régnait en maître et que, quel que fût leur sexe, ceux qui y entraient y subissaient les pires outrages sans jamais en ressortir… Cet homme n’était qu’une brute et elle aurait voulu croire qu’il était aussi bête qu’il en avait l’air, mais, étrangement, il lui arrivait d’en douter. Heureusement, au Guerek, un tel cas de figure ne se produirait jamais ! Aucune tolérance pour les fauteurs de trouble. Attention aux messieurs qui pensaient pouvoir abuser de ces dames sans s’engager, l’unique alternative leur proposait union ou billot et, si jamais le prétendant tentait de s’y soustraire, le roi le faisait activement rechercher. Naturellement, Kerryen, avec fierté, avait repris le flambeau de la défense des femmes de son pays et, rien que pour cette raison, elle lui vouait une indéfectible admiration, se sentant prête à lui pardonner jusqu’à son côté un peu trop rustre par moment.
Alors que son cerveau sautait d’un sujet à un autre, une interrogation résonna curieusement dans sa tête. Finalement, pourquoi avait-elle choisi Amaury pour s’occuper de sa protégée ? Considérant son peu de foi envers la caste masculine, sa décision semblait complètement illogique. Sa première idée aurait dû être de la confier à Mira, idéale en raison de son intégrité absolue. Pourtant, observant le regard que portait le garde sur cet être vulnérable à son arrivée dans la salle, elle y avait déchiffré l’intérêt, la compassion et la bienveillance ; ces apparentes qualités l’avaient immédiatement convaincue de la valeur du jeune homme. Une voix intérieure lui avait assuré qu’il veillerait sur elle avec tendresse, bien mieux que Kerryen, tout en agissant avec honneur. Malgré tout, elle le surveillerait du coin de l’œil…