Quand le gardien de la porte des temps sonne l’alerte, Kerryen, roi du Guerek, débarque avec ses soldats pour découvrir un être recroquevillé sur lui-même, une femme, dont il se désintéresse aussitôt, au grand désarroi de sa tante, Inou, qui l’a élevé à la mort de sa mère. Désespérée par l’attitude de son neveu, celle-ci choisit un garde, Amaury, pour l’aider à s’occuper de cette invitée inattendue dont la peau porte de nombreuses meurtrissures.
Préoccupé par le désir de conquête d’un empereur noir qui descend du nord, Kerryen écrit aux souverains des pays voisins avec lesquels il devrait s’unir pour contrer la menace : Pagok du Pergun, Péredur du Kerdal, Eddar de l’Entik, Gardj de Brucie. Il rejette toutes les affirmations d’Inou sur l’importance de cette femme dans ce futur combat.
Bien décidée à prouver à Kerryen son erreur de jugement, Inou entreprend de réveiller sa protégée de son actuelle léthargie. Malheureusement, si de légers réflexes semblent réapparaître, l’esprit de celle-ci demeure absent. Pourtant, elle échappe une première fois à la vigilance d’Amaury qui la retrouve en tête à tête avec l’infernal étalon du roi, Ardan, puis à Inou. Alors, une nuit, elle retourne prendre un kenda d’Avotour fixé sur un mur, puis refuse de s’en séparer.
Sous l’impulsion d’Inou, Amaury choisit de l’emmener en ville. Profitant de l’aide de Mira, l’assistante d’Inou, il troque la tenue de la femme pour une autre plus masculine. Cependant, énervé par son manque de réactivité, il tente de lui arracher son bâton. Aussitôt, elle le met à terre. Surpris sur le moment, le garde décide de développer cette ébauche d’autonomie.
Rendant visite à son neveu, Inou découvre dans un courrier que Kerryen a vendu leur invitée pour appâter Eddar. Furieuse, elle part immédiatement chez Mukin, le sage, en compagnie d’Amaury et de sa protégée, confiant à celle-ci comme une ultime vengeance, Ardan.
Mukin s’intéresse à la femme qu’il baptise Ellah en raison de la légende d’Ellah Leiring. La nuit venue, certain qu’elle renaît grâce à l’affection de ceux qui l’entourent, il partage son esprit avec elle, puis entraîne ses compagnons dans la montagne. Devant leurs yeux, un lien inédit se crée entre Ellah et un énorme chien blanc sauvage. Face à tous les bouleversements de sa vie, Inou résiste difficilement. Au matin, le groupe s’ébranle pour rejoindre la maison de Béa, la plus ancienne amie d’Inou. De là, ils décident une visite chez Tournel pour obtenir de lui d’éventuels renseignements sur le fonctionnement de la porte.
Quand un messager leur apprend que la menace est arrivée à proximité de leurs frontières, ils reviennent chez Béa pour y découvrir Kerryen, accompagné de sa demi-sœur, Adélie. Celui-ci en profite pour reprendre Ardan au grand désespoir de la femme, puis identifie entre ses mains un kenda de sa collection. Après un affrontement bref, Ellah défait le garde chargé de le récupérer, puis le confie à Amaury qui le rend à son roi. Alors que Kerryen s’apprête à repartir avec son arme, Ellah la rappelle à elle. Puisqu’elle souhaite la conserver, le souverain lui ordonne d’intégrer sa garnison. Tournel qui a assisté de loin à l’altercation offre à Ellah la traduction d’un précieux parchemin à propos de la porte.
Revenue à Orkys, alors qu’elle surveille la cour remplie de futurs combats, ouvriers, artisans ou paysans, Ellah remarque un jeune garçon qui veut s’enrôler, Raustic. Réalisant que tous ces hommes vont mourir pour rien, elle débarque dans le bureau de Kerryen pour lui suggérer mettre à profit les talents de chacun et, ainsi, éviter leur disparition inutile, mais celui-ci la chasse sans même l’écouter. En dernier recours, elle sollicite l’aide Mukin pour amener le roi à reconnaître la pertinence de ses idées.
Pour avoir désobéi au chef des gardes, Ellah est emprisonnée avec Raustic. Le lendemain matin, quand Kerryen l’apprend, il fait aussitôt libérer les deux captifs. Alors qu’Ellah retourne dans la cour, Amaury la rejoint et lui transmet un message de Mukin. Au même instant, son esprit discerne une grave explosion et, incapable de résister, emprunte Ardan une nouvelle fois. Après avoir prévenu Inou, Amaury se précipite pour la seconder. Croisant sa tante et Béa, Kerryen, frappé par leur attitude comploteuse, se décide à les précéder et se rend chez Mukin par un autre chemin.
Parvenu chez Mukin, le souverain accompagne Ellah et Amaury pour dégager un accès vers la salle effondrée dans laquelle gît le corps du sage. Sans bien savoir comment, Ellah le sauve. Dans le fond de la maison, une étrange ouverture mène par un escalier vers quelques geôles. Dans l’armoire d’une pièce adjacente, elle tombe sur quatre livres dont le premier, un carnet, possède un titre qui la surprend : « Les Portes d’Antan ». En raison de la présence du roi derrière elle, elle ne peut les consulter, mais arrive à subtiliser ce dernier. Alors que Mukin explique les raisons de l’explosion, des expériences sur une substance noire rapportée de ses lointains voyages, Kerryen y voit immédiatement une extraordinaire opportunité pour repousser leurs ennemis.
Malgré ses efforts pour exister, Ellah peine à retrouver ses marques dans ce monde qu’elle redécouvre, de plus en plus sensible à son absence de passé, à son corps meurtri et à son incapacité à envisager un futur, sans parler des informations qui surgissent dans son esprit sans contrôle. Dans la garnison, son intégration dérange et les coups tordus se multiplient.
Au grand désarroi de Kerryen, Allora rejoint Orkys et se révèle d’une aide précieuse dans la planification des défenses du Guerek, tandis que le souverain précise pièges et innovations. Puis, au cours d’un combat dans la cour de la forteresse contre Mukin, Ellah démontre son exceptionnel potentiel, sous le regard admiratif d’Adélie. Observateur lointain, Kerryen la déteste encore plus.
Lors d’une visite à Adélie, la jeune fille parle à Ellah de la magie, mais cette dernière ne sait comment réagir, surtout qu’elle ne maîtrise rien, ni les souvenirs étranges qui reviennent à elle sans choix conscient ni les picotements qu’elle ressent dans les doigts. Préoccupée par son propre sort, elle ne cherche pas à approfondir les mystères qu’elle perçoit dans les propos d’Adélie. Pendant la nuit, elle se rend au col de Brume pour rencontrer Tournel. Une fois, là-bas, l’homme lui explique que le livret qu’elle détient comporte plusieurs langages et qu’il a constaté l’insuffisance de ses connaissances pour le traduire. Cependant, il lui transmet l’original d’un parchemin qu’elle arrive à lire. Son contenu renforce sa décision de retourner à la porte.
Blessée dans un accident, Allora est ramenée au château. Énervée par l’insensibilité de son neveu, Inou reproche vertement à celui-ci sa muflerie. Hanté par les paroles de sa tante, le roi demande Allora en mariage.
Quand Ellah et Amaury atteignent le col, ils apprennent que Kerryen et son escorte sont partis un peu plus tôt vers le Pergun. Alors que les images se précipitent dans la tête de la combattante, celle-ci comprend que l’empereur a envoyé quelques éclaireurs qui ne feront qu’une bouchée de la troupe. Saisissant l’imminence de la menace, elle délègue à Amaury le soin d’aller prévenir la forteresse et dévale la pente. Si elle n’arrive pas à temps pour sauver les gardes, elle se bat aux côtés de Kerryen, soutenue par son chien blanc et l’étalon, puis se débarrasse de l’ultime soldat de Tancral. Dévastée d’avoir tué deux hommes, elle se maudit et ne résiste qu’en raison de la présence de ses animaux, comme de son kenda.
Au pied des fortifications, elle quitte Kerryen pour étudier le marais, puis lui apprend un peu plus tard que leurs ennemis attaqueront le lendemain et que, comme elle, les assaillants voient la nuit. De nouveau à Orkys, elle rejoint la porte qui lui ouvre une petite part de son mystère. Quand Ellah se réveille après un étrange voyage, elle comprend qu’elle ne la franchira plus jamais, refusant de revivre une nouvelle fois une telle épreuve. Alors qu’elle revient, se méprenant sur ses intentions, Amaury l’embrasse et lui propose de l’épouser pour l’empêcher de partir avant de s’apercevoir de l’excès de son comportement. Ellah lui demande de garder son chien, puis retourne au col.
Quand la marée humaine annoncée par Ellah devient visible, Béa, pressée par le temps, déclare sa flamme à Tournel.
Alors que quelques heures précèdent encore l’attaque, le regard d’Ellah erre sur le marais ; elle a oublié l’essentiel. Avec trois compagnons, Raustic, Greck et Jiffeu, elle y descend pour y installer un dernier piège.
Alors que la confrontation avec leurs ennemis débute, un souvenir surgit dans l’esprit d’Ellah. Abattant deux soldats, relais de Césarus, le combat cesse. Ellah sauve Mukin une seconde fois, puis découvre un instant plus tard la mort de son chien qui s’est échappé de la forteresse. Ébranlée par cette perte, elle s’engage dans une mission suicide avant que Césarus ne reprenne la main sur ses guerriers. Accompagnée de Kerryen, elle repart devant la muraille pour faire exploser les barils de poudre. Si le roi retourne derrière la protection temporaire des remparts, Ellah renonce à y rentrer. Cependant, un clapotis étrange la surprend : les hommes de l’empereur traversent le marais. Et une idée jaillit dans sa tête. Bientôt, grâce aux tirs enflammés des archers de Kerryen unis au sien, la totalité de la tourbière s’embrase, brûlant vifs tous les soldats présents. L’armée de Césarus est détournée ; le Guerek a triomphé.
Sans son chien, Ellah ne souhaite plus vivre. Décidant de rendre son kenda à Kerryen, elle rejoint celui-ci dans son bureau et, à la suite d’une discussion animée, escalade la balustrade qui domine la mer Eimée, déterminée à se jeter dans le vide. Mais Kerryen l’empêche de sauter et la ramène dans sa chambre. Ils finissent la nuit ensemble avant de se souvenir que le roi est engagé avec Allora. Pour cet homme, Ellah se donne un sursis, mais, elle n’a pas changé d’avis, la mort l’attend.
Quand Allora de Srill, auprès de qui il s’était engagé, l’a relevé de sa promesse, Kerryen a épousé Ellah. De leur union est née une petite fille, Amylis, et la famille vit heureuse dans la forteresse d’Orkys, capitale du Guerek ou presque… En effet, de son actuelle histoire, Ellah a conservé une grande vulnérabilité à laquelle elle résiste grâce à la présence de Kerryen et de son bébé. Sur le point de fêter le premier anniversaire de la victoire sur Césarus, le château se prépare à accueillir des visiteurs, des proches comme des curieux. De façon contradictoire, Allora annonce son départ du Guerek à Ellah, lui expliquant qu’elle a renoncé à Kerryen, alors qu’elle l’aimait, en raison des sentiments qu’elle avait devinés entre eux.
De son côté, Adélie qui n’a jamais cessé de vouer à la porte une vénération, ce matin-là, se rend devant elle, bercée par une magie conciliante. Parallèlement à un bruit sourd extérieur, un changement d’éclairage la dérange, puis trois silhouettes se dessinent dans la lumière. Les nouveaux arrivants, Pardon et ses enfants, espérant tomber sur Aila, sont déstabilisés par cet accueil imprévu associé à la différence de langage que Tristan ne parvient pas à corriger. La cloche d’alerte sonnée, Kerryen débarque l’épée au poing, bientôt suivi d’Ellah et d’Amaury. Reconnue par les visiteurs, la reine se décompose, tandis que Pardon ne désire plus que repasser la porte pour mettre fin au cauchemar de voir sa femme avec un autre homme.
Dans une pièce plus confortable d’Orkys, la discussion entre les nouveaux venus et Ellah ne se révèle pas pour autant plus facile, principalement en raison du silence de Pardon, dévasté, et celui habituel de Tristan. Ellah leur apprend qu’elle est arrivée presque deux ans plus tôt elle ne se souvient plus de rien. Par politesse, elle les invite cependant à rester aussi longtemps qu’ils le souhaitent. Alors que Pardon désire uniquement fuir cet endroit, Naaly obtient un délai pour renouer avec sa mère. Montant dans les étages, elle la retrouve dans sa chambre et se découvre une petite sœur, Amy ou plutôt Amylis.
Pendant ce temps, perturbé par les propos échangés, Tristan se promène dans la forteresse, se posant des questions auxquelles personne d’autre que lui ne semble songer. Où sont-ils et quand ? Avant de rejoindre son père, Naaly redescend dans les sous-sols et observe quelques mouvements de troupes souterrains. Le trio réuni, ses membres envisagent de repasser la porte, mais Ellah les invite à fêter avec eux le premier anniversaire de la victoire du Guerek, permettant du même coup à Tristan d’associer les pièces ; il comprend qu’ils ont atterri dans la forteresse du Guerek qu’ils ont connue en ruines, le jour même où celle-ci a été attaquée. Pressé par l’urgence, grâce au retour d’un léger contrôle de la magie, il parvient à partager les pensées, contournant la barrière de la langue. Ainsi, Kerryen apprend que sa cité sera totalement détruite et que son roi finira les os brisés. Cependant, Tristan leur explique que le passé précédent peut avoir été modifié par la venue d’Ellah et, que le déroulement des événements actuels peut différer du premier. Au même moment, Naaly parle des mouvements observés dans les sous-sols et l’alerte est donnée : le château est attaqué par l’intérieur, mais aussi par l’extérieur. Pardon et Naaly accompagnent Kerryen pour défendre le lieu, tandis qu’Ellah met Amy à l’abri. Quand Inou réalise l’absence d’Adélie, Tristan se propose de partir la rechercher. Sa fille en sécurité, la reine rejoint les combattants dans la cour. Malheureusement, la forteresse apparaît perdue. Organisant la fuite du personnel par le souterrain, les yeux d’Adélie se posent sur Pardon qui a généré chez elle des sentiments inédits, pendant que ce dernier, définitivement éprouvé, découvre le bébé du couple. Alors qu’ils atteignent la salle de la porte, Kerryen annonce à Ellah qu’elle doit suivre son ancienne famille en raison du pacte qui l’oblige à respecter un vœu unique de sa part. Malgré sa colère, elle ne peut refuser et, sa fille dans le bras, passe les ondes avec Pardon et ses enfants. Dès cet instant, Kerryen ordonne à ses hommes de la détruire.
— Attendez, messieurs, s’écria-t-elle d’une voix haute et claire, veuillez avoir l’obligeance de m’écouter jusqu’au bout ! Je suis là pour vous apprendre à faire la différence entre un vil manipulateur qui ne sert que ses propres intérêts et quelqu’un au service de son pays.
— Maintenant, ça suffit ! Allez-y ! gronda l’homme.
Aila adressa un signe à Adrien pour qu’il lui lançât son kenda. Elle le rattrapa et s’occupa des quatre compagnons qui fonçaient sur elle. Il ne lui fallut guère de temps pour en venir à bout. Estourbis par la frappe du kenda, ils s’affalèrent les uns après les autres sur le sol.
— Seigneur Artusi, dois-je faire mander la garde ! s’écria le pauvre aubergiste.
— Allez-y, mon brave ! lui répondit-elle.
Puis retenant le lascar au chapeau par le col, elle s’exclama :
— Et où allez-vous donc ? Assis !
L’homme obéit. À présent, il roulait des yeux effarés, fixant la femme qui avait assommé ses sbires en un rien de temps.
— La garde va arriver et vous arrêtera ! vociféra-t-il à son encontre, dans sa dernière tentative d’esbroufe.
— Possible… Mais j’en doute… Surtout, vous ne bougez pas, ajouta-t-elle, laissant planer une menace dans sa voix, tout en relâchant son col.
Avec souplesse, elle monta sur la table.
— Mes amis, écoutez-moi ! Je vais vous raconter la vie d’un roi ! Et si l’un d’entre vous veut lui parler, allez le voir, il vous prêtera attention ! Parce que moi, contrairement à ce présomptueux, je le connais et je peux vous assurer qu’il ne lécherait pas les bottes d’un homme comme lui, ni celles de personne d’ailleurs ! Aujourd’hui, votre roi se bat ! Pour qui ? Pour chacun d’entre vous ! Oui, il sait combien votre vie est difficile et vos malheurs grands ! Qui, croyez-vous, a donné des compagnies de soldats pour protéger le blé ? Qui, croyez-vous, a investi deux sequins par sac de farine pour diminuer le prix du pain ? Qui, croyez-vous, prend la route, à l’instant même où nous parlons, pour nouer des alliances afin de sauver Avotour ? Vous pensez qu’il ne souhaite que vous envoyer à la mort, alors je vais vous décrire le monstre qui convoite notre pays : il s’appelle Césarus, empereur du Tancral. Chez lui, les hommes sont séparés des femmes, sauf le temps de procréer pour assurer la relève de la main-d’œuvre, tant sont insatiables ses besoins en chair humaine… Tout son peuple survit dans des conditions épouvantables et se tue à la tâche, et comment agit Césarus pour le remercier ? Une fois qu’un individu n’est plus bon à rien, il le pousse, parfois encore vivant, dans un charnier où il sera promptement recouvert par d’autres, devenus tout aussi inutiles. Et quand la fosse déborde, il en fait creuser une nouvelle par des hommes qui y finiront de toute façon ! Voilà ce que l’avenir vous réserve si vous ne vous battez pas pour l’éviter. Vous avez des raisons de pleurer sur votre sort actuel, mais, demain, si cet empereur envahit votre comté, vous n’en aurez plus, et seules la servitude et la souffrance vous tiendront compagnie jusqu’à votre mort qui ne tardera pas ! Ne vous laissez pas mener par ces sacrés bonimenteurs, comme cet Artusi, pétris d’orgueil, qui se valorisent d’une importance qu’ils ne possèdent pas. Ces bouffons de pacotille vous racontent ce qui les arrange, alors qu’ils seront les premiers à trahir votre pays et vous avec pour un peu plus de pouvoir et d’argent ! Vous donne-t-il vraiment l’impression de crever de faim cet homme-là ? Regardez-le ! Grassouillet comme un goret et sa mine hautaine et gourmande qui est une offense à vos assiettes vides. Il se nourrit de vos malheurs dont il n’attend que les suivants pour se repaître de plus belle… Ne vous laissez pas embobiner par des calomnies ! Portez la bonne parole de votre souverain à vos voisins ! Comme vous, votre roi souffre, il a perdu sa femme et sa fille qui sont mortes pour qu’il vive ! Ferions-nous preuve de moins de courage qu’elles ? Si elles ont donné leur vie pour lui, je serai la première à le faire, car, moi, je lui fais confiance ! Je ne vais pas nier, ce serait mentir, que la guerre contre Césarus nous lance un défi qu’il nous faudra relever malgré un sérieux risque de défaite, malgré la peur de la souffrance. Je vous promets du sang, de la sueur et des larmes. Et tant pis si j’y perds la vie ! Car, croyez-moi, lorsque je m’engagerai dans la bataille, je tiendrai la première ligne avec notre roi, ses fils et leurs soldats. Et je vous le jure à tous, ici présents, je ne laisserai pas mon pays adoré tomber entre les mains d’un tyran sans lui résister ! Notre seule chance de victoire réside dans l’union de toutes nos forces. Alors, qui me suit ?
Les clients se taisaient, particulièrement troublés. Pendant tout le temps de son discours, ils avaient vu défiler dans leurs têtes des images de l’avenir que leur montrait Aila. Ils avaient percé à jour les projets de Césarus et la vie de ses hommes. Ils avaient vécu les morts de la reine et de sa fille pour des êtres comme Artusi, traîtres à leur pays, insatiables de pouvoir et avides de richesse. Ils avaient ressenti la souffrance du roi à leur perte et son courage pour surmonter cette dernière, ses doutes et ses désirs, l’amour de son royaume et sa volonté de le protéger. De retour, l’aubergiste ouvrit brutalement la porte, devançant la garde de Partour.
— Elle est là. Arrêtez-la ! Elle a malmené les compagnons du seigneur Artusi !
Le capitaine s’approcha avec ses soldats pour empoigner Aila. Adrien s’avança.
— Capitaine, je pense que cela ne sera pas nécessaire. Cette femme n’a fait que se défendre contre ces malandrins envoyés par cet homme pour la brutaliser. Tout le monde peut en témoigner.
— Il ment ! s’exclama Artusi. Il faut l’arrêter lui aussi !
— Pouvez-vous m’accorder juste un instant, je voudrais vous montrer quelque chose, suggéra Adrien à l’officier.
Le regard de ce dernier oscilla entre Artusi et le prince, évaluant le coût d’une méprise auprès du seigneur qui ne serait pas du genre à la lui pardonner. Puis, se résignant, il suivit Adrien, les yeux encore tournés vers l’homme au chapeau. La discussion ne dura guère et le capitaine, plein d’une énergie nouvelle, se dirigea vers le seigneur.
— Seigneur Artusi, je vous déclare en état d’arrestation pour outrage au roi et à la famille royale.
— Mais qu’est-ce que c’est que cette imbécillité ? Vous ne pouvez pas m’arrêter ! Je suis le seigneur Artusi ! Ne commettez pas une erreur de jugement, je détiens beaucoup de pouvoirs, vous savez… ! s’exclama-t-il, en se relevant, bousculant les dernières chopes.
Sortant de l’ombre, Adrien s’avança et se plaça en face de lui.
— Monsieur ! Vous êtes surtout un petit seigneur pédant et mal intentionné qu’il convient de remettre à sa juste place, au fond d’un trou. Je ne confierai pas ma vie à un homme tel que vous dont le premier réflexe sera de me trahir pour un plus offrant.
— Vous trahir ! Mais je ne vous connais même pas !
— C’est dommage pour vous, car en plus d’être pédant, vous êtes un sot ! Emmenez-le et gardez-le-moi au chaud, ou plutôt au frais, jusqu’à mon retour.
Un éclair de compréhension traversa de façon éphémère les yeux de l’homme au chapeau. Il venait de réaliser qu’il faisait face à un prince, mais lequel ? Il ne le savait même pas… Les soldats l’entravèrent, puis l’embarquèrent prestement. Jusqu’à sa disparition par la porte de l’auberge, il se tortilla dans tous les sens pour ne pas quitter le prince des yeux. Les gardes ramassèrent les compagnons d’Artusi qui, sans avoir encore parfaitement retrouvé leurs esprits, allaient suivre le même chemin que leur petit seigneur.
— Je passerai au château demain matin pour régler cette pitoyable affaire, reprit Adrien à l’adresse de l’officier qui se dandinait sur place.
Percevant son malaise, il poursuivit :
— Auriez-vous quelque chose à rajouter, capitaine ? Je vous écoute…
— Sire Parcot risque de se sentir offensé par le fait de ne pas vous avoir offert l’hospitalité pour la nuit dans sa demeure…
Adrien traduisit aussitôt ce que n’ajouta pas le capitaine. Ce dernier s’exposait au mécontentement de son seigneur pour n’avoir pas su ramener un membre de la famille royale au château… Le prince jeta un coup d’œil à Aila qui, encore sur la table, hocha la tête. Elle aussi avait compris les enjeux.
— Nous ne voudrions pas décevoir votre seigneur, nous vous accompagnerons jusqu’à sa demeure, poursuivit-il.
Le capitaine émit un bref soupir de soulagement et tourna son regard vers la jeune fille qu’il avait failli arrêter. Toujours perchée, elle s’adressa à tous ceux qui logeaient dans l’auberge :
— Maintenant, vous savez que j’ai dit la vérité. Alors, aidez-nous à la répandre. Soyez loyaux à votre roi ! Ne négligez pas ses sacrifices, car lui ne vous oublie jamais !
Avec grâce, elle sauta de la table, posa un genou à terre et baissa respectueusement la tête devant Adrien, abasourdi.
— Sire Adrien, mon prince, à genou devant vous, je vous renouvelle mon engagement de fidélité, énonça-t-elle d’une voix claire.
Elle se redressa et hurla :
— À la vie, à la mort !
Un murmure parcourut l’assemblée, qui, elle aussi, réalisait que se tenait devant eux, dans cette auberge, un prince… De rares clients commencèrent également à mettre un genou en terre en murmurant « À la vie, à la mort ! », rejoints petit à petit par d’autres dont les voix s’élevaient de plus en plus nombreuses et assurées, sous les yeux médusés de l’aubergiste. Un regard vers le capitaine qui s’agenouillait, finit par le convaincre d’imiter la foule. Bientôt, plus aucun homme ne se tenait debout, excepté Adrien. Elle reprit, de sa voix sonore, dans le silence qui retombait.
— À tous, je confie la mission de rapporter et d’expliquer à vos voisins et amis la menace qui pèse sur nous tous. Racontez ce que vous avez vu, prouvez-leur que nous devons rester unis pour vaincre ! Soyez incisifs, convaincants ! Vous devenez à partir de ce soir les émissaires du prince Adrien et de sa famille, et le roi ne pourra que se montrer fier de sujets tels que vous ! Nous nous retrouverons !
— À la vie, à la mort ! s’écria un des hommes, se relevant maladroitement.
Suivi par tous, l’auberge trembla sous les cris et les vivats ! Le pauvre tenancier, désorienté, regardait la douce folie qui s’était emparée de ses clients.
Aila s’approcha de lui. Il en frémit.
— Juste un conseil pour vous : je sais la difficulté de se frayer une place parmi les grands, mais un égoïste tel qu’Artusi n’aurait jamais fait qu’abuser de vous sans vous offrir la moindre compensation. N’ayez aucun regret. Seulement, à l’avenir, choisissez mieux vos amis et ceux à qui vous déclarez votre loyauté.
L’aubergiste se fendit d’un large sourire et se mit, comme les autres, à lever le bras et à s’égosiller.
Les deux voyageurs avaient récupéré leurs paquetages. À présent, ils suivaient le capitaine qui les guidait vers le château à travers les rues sombres de la ville. Ni l’un ni l’autre n’avait prévu ce nouveau rebondissement dans leur mission, mais au point où ils en étaient, qu’importaient ces heures supplémentaires perdues… L’officier avait dépêché un de ses soldats en avance prévenir le châtelain et ce dernier se tenait déjà sur les marches quand le petit groupe pénétra dans la cour. L’homme parut immédiatement antipathique à la jeune fille. Il affichait sur sa bouille arrondie une profonde estime de soi que la jeune fille trouva déplaisante. Malgré les nombreux défauts qu’elle décelait en lui, il lui apparut clairement qu’il n’était pas le traître que l’on aurait pu croire, il affichait sa fidélité au roi… Tout dans sa façon de se comporter lors de leur accueil dénotait qu’il était borné, impitoyable et colérique. Poursuivant son analyse du personnage, elle se dit que, dans le même temps, il excellerait comme chef d’armée… Dans un tel contexte, borné signifierait déterminé, implacable, valeureux et, pour ce qui était de la colère, partagée avec ses soldats contre leurs ennemis, elle leur donnerait des ailes. Tout ceci constituait pour l’instant un mélange détonant qu’il conviendrait de manipuler avec précaution… Aila soupira. Depuis quand la diplomatie était-elle devenue un de ses talents ? Comment allait-elle procéder pour ne pas se le mettre à dos tout de suite ?
— Sire Adrien ! Ma dame ! Quel honneur infini de vous recevoir dans mon château ! Je vous en prie, entrez. Mes serviteurs sont en train de vous préparer deux chambres qui, je l’espère, vous siéront. Avez-vous mangé ?
— Merci pour votre accueil, sire Parcot. Une seule suffira, je dors avec mon garde du corps. Si cela ne vous dérangeait pas, après cette journée fatigante, nous aimerions nous retirer.
— Oh ! s’exprima le châtelain, visiblement déçu.
— Sire, dit Aila, se tournant vers Adrien, nous pourrions consacrer du temps à notre hôte avant de nous reposer. Comme nous repartons de bonne heure, nous n’aurons pas d’autre occasion pour discuter ensemble…
Il lui jeta un coup d’œil interrogateur, puis s’adressa à Parcot :
— La fatigue a eu raison de moi, un instant, et j’ai manqué à tous mes devoirs. Nous sommes ravis de passer un moment avec vous. Nous vous suivons, sire Parcot.
Les deux invités se retrouvèrent rapidement dans une salle bien chauffée, mais plutôt vide. Aila eut l’impression de revoir le château d’Antan. Malgré sa dureté apparente, le châtelain de Partour ne laissait pas ses gens dans la misère sans agir. Ils s’installèrent dans trois fauteuils à l’aspect râpé.
— Mon capitaine m’a averti que sire Artusi croupissait au cachot, annonça-t-il avec un petit rire sans joie. Notre monde bouge et certains y perdent leurs repères. Depuis un moment, je me méfiais de lui et je le découvre agitateur et provocateur. Mais il ne s’en tirera pas comme cela ! Au pain sec et à l’eau ! Cela va lui changer la vie à ce félon !
— Il a dit compter des amis haut placés. Savez-vous de qui il parlait ? questionna Adrien.
— Je sais qu’il voyage beaucoup entre Aroure et Uruduo. Maintenant, qui il y rencontre exactement est une autre paire de manches. Les seigneurs Barmois d’Uruduo et Constan d’Aroure sont déjà venus lui rendre visite, mais nous ne pouvons en tirer aucune conclusion. Je connais Constan, c’est un homme horripilant, mais cela n’en fait pas forcément un traître ou un rebelle…
Aila retint un rire. Parcot raisonnait sur Constan comme elle l’avait fait à son égard…
— Notre situation est-elle si grave que cela ? s’inquiéta le châtelain.
Adrien jeta un coup d’œil interrogateur vers Aila qui lui signala qu’il pouvait parler.
— Encore plus que vous ne pouvez l’imaginer. Nous sommes menacés par l’empereur Césarus du Tancral qui a juste besoin d’esclaves et de jouets humains supplémentaires…
— Mais le Tancral est à des centaines de lieues, au nord !
— Effectivement, mais il a désormais asservi tous ses pays limitrophes. Après une période de repos, il a décidé de se remettre en marche en traçant vers le sud…
Un moment, le châtelain resta pensif avant de reprendre :
— Nous devions déjà combattre la misère et nous voilà devant un fléau encore plus redoutable. Alors que faire ?
— Le roi a rappelé tous les héros de la grande bataille pour reformer une armée. De plus, chaque membre de la famille royale est chargé de nouer des alliances avec les pays qui bordent le royaume d’Avotour. Seuls, nous aurons du mal à vaincre, mais unis, cela nous laisse une chance…
— Et qui allez-vous voir ?
— Les Hagans.
Parcot se dressa sur sa chaise, puis sur la pointe des pieds.
— Impossible ! Ces Hagans ne sont que des hordes sauvages ! Ils ne cessent de nous harceler ! Ils tuent nos hommes, nos femmes, nos enfants et détruisent nos récoltes… Ce ne sont que des barbares ignares ! Qu’on les extermine, tous, jusqu’au dernier ! Comment pouvez-vous songer, ne serait-ce qu’un seul instant, à une entente avec eux ? Jamais je ne prendrai part à une telle mascarade ! C’est hors de question ! Vous m’offensez !
Le châtelain fulminait et Adrien attendit qu’il se calmât avant de reprendre la parole, avançant prudemment ses idées :
— Seigneur Parcot, j’entends et je comprends vos sentiments à leur égard. Cependant, nous atteignons un tournant de notre histoire où de ces alliances nouvelles peut naître une victoire pour nous tous. Les Hagans sont tout ce que vous dites, mais ce sont aussi, reconnaissez-le, de fiers cavaliers et d’excellents combattants. Ils rivalisent de courage et ne craignent pas de mourir. Nous aurons besoin d’hommes comme eux.
— Moi, vivant, jamais, vous entendez ! Jamais !
— Alors, ce sera vous, mort, s’il le faut, conclut Aila, très placidement.
Adrien et Parcot se tournèrent vers la jeune fille, le châtelain s’étranglant littéralement de rage. Elle se leva nonchalamment et posa sa main sur le bras du châtelain, l’amenant doucement à se calmer et à se rasseoir.
— Vous devez absolument comprendre que nous n’avons aucun choix. De plus, votre vision des Hagans me paraît beaucoup trop réductrice pour être juste. Je vais vous rafraîchir la mémoire. Pendant des années, les sujets d’Avotour vivaient en paix. Seulement, l’histoire raconte qu’au moment où les fées ont disparu…
— Allons donc nous voici en plein délire ! Vous êtes bien une femme pour déblatérer ce genre de niaiseries ! coupa Parcot qui tenta de se lever de nouveau.
— Asseyez-vous et écoutez, ordonna le jeune fils du roi, sans élever la voix. Elles existent et je les ai personnellement rencontrées pour la première fois, il y a quelques jours à peine…
Le châtelain ouvrit la bouche, puis se rassit lentement, abasourdi par les propos du prince. Elle enchaîna, sans lui laisser le temps de comprendre ce qui venait déjà de l’assommer.
— Quand les fées ont disparu, les citoyens d’Avotour ont perdu leurs marques et, dans leur désespoir, ils ont perpétré des incursions chez les Hagans pendant plus d’un siècle. Ils ont fait subir aux Hagans ce que vous leur reprochez d’exercer à l’encontre de notre peuple aujourd’hui. Nous aussi n’étions rien d’autre que des barbares sanguinaires, prêts à tuer pour un rien. Puis nous avons recouvré la raison et sommes à nouveau devenus des hommes de paix, oubliant les monstruosités que nous avions pu commettre, mais pas eux ! À présent, ils se vengent toujours des souffrances que nous leur avons infligées. Le prince et moi venons pour briser ce ressentiment dont nous portons la responsabilité. Mais si des seigneurs comme vous s’opposent à ce projet de réparation, ils finiront avec Artusi dans un cachot comme traître à la patrie !
Parcot était livide. Il jetait des regards désespérés vers Adrien. Il ne comprenait pas que le prince laissât une simple garde du corps lui donner des leçons à lui, un seigneur ! C’en était trop pour lui ! Il était fidèle à son roi et les Hagans des hommes sans foi ni loi ! Aila poursuivit son histoire :
— Je pourrais les détester encore plus que vous. Ils ont fait brûler vive toute la famille de ma mère. Mon père les a combattus et les a vaincus, mais je vais vous dire une chose qui risque de vous surprendre. En l’écoutant parler, j’ai toujours songé qu’il les respectait. Il les considérait comme des hommes braves. Seulement, comme vous, il avait tellement subi d’horreurs de leur part, qu’il s’en méfiait comme de la pire des engeances.
— Mais ce sont des brutes bornées, impitoyables !
— Exactement ce que j’ai pensé de vous en vous voyant. Et j’ai, en outre, rajouté colérique…
Le châtelain demeura sans voix. De blême, il était devenu rouge. Il ouvrait et refermait la bouche comme un poisson qu’on aurait sorti de son bocal. Ce fut le moment que son fils, Julius, choisit pour entrer dans la pièce.
— Bonsoir à tous. Sire Adrien, ma dame…
Il s’aperçut rapidement que quelque chose clochait et son regard oscilla entre les différents protagonistes. Il versa de l’eau dans un verre et le tendit à son père qui, d’un geste, l’envoya valdinguer contre la cheminée.
— Colérique, c’est bien ce que je disais, acheva Aila.
Le fils esquissa un sourire, puis prit une chaise et s’installa à côté de son père. Il ne paraissait aucunement ébranlé par la conduite de Parcot et attendit que le calme fût revenu. Pour détendre l’atmosphère, il s’adressa à Adrien :
— Sire, vous avez fait grand effet sur la population de Partour. Dans les couloirs du château, on ne parle plus que d’allégeance au roi ! J’ignore comment vous vous y êtes pris, mais vous avez réussi à réveiller dans leurs cœurs l’envie d’appartenir au royaume d’Avotour qui se perdait peu à peu. Ce revirement me paraît extraordinaire.
— Personnellement, je n’y suis pour rien, mais je bénéficie d’une garde du corps particulièrement efficace qui sait en permanence quoi dire au bon moment et qui l’énonce sans vraiment mâcher ses mots. C’est à double tranchant. Elle ne fait pas de cadeau, mais, dans le même temps, elle vous permet de réaliser que vous êtes dans l’erreur et vous offre une chance de corriger le tir. J’ignore comment elle se débrouille, mais ce qu’elle affirme se révèle toujours juste. Alors, même moi, quand elle parle, je l’écoute et je réfléchis, car, tout prince que je suis, je ne suis qu’un homme faillible. Le vrai courage consiste à savoir reconnaître ses méprises…
Julius ne fut pas dupe. Il comprit immédiatement que le discours s’adressait à son père, devenu remarquablement silencieux et renfrogné.
— Sire Parcot, annonça Aila. Vous devez rejoindre le comté d’Avotour et des combattants comme Barou ou Bonneau Grand. Vous êtes de la même trempe, de ceux qui conduisent et galvanisent les troupes au combat et qui les font vaincre. Avotour a besoin d’hommes comme vous. Vous aurez beaucoup à apporter avec votre sens inné de la stratégie et vos connaissances du terrain.
— En somme, vous m’en mettez plein la face et, après, vous me passez la pommade pour effacer le tout ! Ne croyez pas, jeune fille, que je mange de ce pain-là ! répliqua le châtelain qui avait retrouvé sa voix et son assurance.
— Borné, j’ai bien dit borné ! riposta-t-elle du tac au tac.
— Cela suffit ! Je ne me laisserai pas traiter comme un imbécile sous mon propre toit ! Je ne ferai rien contre mon prince à qui j’offre mon respect comme il se doit, mais à vous, lança-t-il, en observant Aila, je ne vous dois rien, alors ne poussez pas le bouchon trop loin sous peine de croupir dans le même cachot qu’Artusi.
— Aucune geôle ne me retiendrait, sire Parcot. Regardez…
Elle ouvrit ses mains et, sous leurs yeux ébahis, elle fit croître une flamme. Tous sentaient sa chaleur douce qui se transforma rapidement en un brasier insupportable. Aila l’envoya en l’air et elle retomba en gouttes de pluie torrentielle qui détrempa les seigneurs avant qu’un grand vent ne se levât et qu’ils ne fussent à nouveau secs comme si rien ne s’était passé… Mais ce n’était pas un songe, Aila tenait encore dans ses mains la flamme qui se mourait lentement.
— Mais quel est ce prodige ? Qui êtes-vous donc ? s’enquit Parcot, décomposé.
— Je m’appelle Aila Grand et j’ai reçu en partage les dons des fées. Je suis celle qui sait.