Quand le gardien de la porte des temps sonne l’alerte, Kerryen, roi du Guerek, débarque avec ses soldats pour découvrir un être recroquevillé sur lui-même, une femme, dont il se désintéresse aussitôt, au grand désarroi de sa tante, Inou, qui l’a élevé à la mort de sa mère. Désespérée par l’attitude de son neveu, celle-ci choisit un garde, Amaury, pour l’aider à s’occuper de cette invitée inattendue dont la peau porte de nombreuses meurtrissures.
Préoccupé par le désir de conquête d’un empereur noir qui descend du nord, Kerryen écrit aux souverains des pays voisins avec lesquels il devrait s’unir pour contrer la menace : Pagok du Pergun, Péredur du Kerdal, Eddar de l’Entik, Gardj de Brucie. Il rejette toutes les affirmations d’Inou sur l’importance de cette femme dans ce futur combat.
Bien décidée à prouver à Kerryen son erreur de jugement, Inou entreprend de réveiller sa protégée de son actuelle léthargie. Malheureusement, si de légers réflexes semblent réapparaître, l’esprit de celle-ci demeure absent. Pourtant, elle échappe une première fois à la vigilance d’Amaury qui la retrouve en tête à tête avec l’infernal étalon du roi, Ardan, puis à Inou. Alors, une nuit, elle retourne prendre un kenda d’Avotour fixé sur un mur, puis refuse de s’en séparer.
Sous l’impulsion d’Inou, Amaury choisit de l’emmener en ville. Profitant de l’aide de Mira, l’assistante d’Inou, il troque la tenue de la femme pour une autre plus masculine. Cependant, énervé par son manque de réactivité, il tente de lui arracher son bâton. Aussitôt, elle le met à terre. Surpris sur le moment, le garde décide de développer cette ébauche d’autonomie.
Rendant visite à son neveu, Inou découvre dans un courrier que Kerryen a vendu leur invitée pour appâter Eddar. Furieuse, elle part immédiatement chez Mukin, le sage, en compagnie d’Amaury et de sa protégée, confiant à celle-ci comme une ultime vengeance, Ardan.
Mukin s’intéresse à la femme qu’il baptise Ellah en raison de la légende d’Ellah Leiring. La nuit venue, certain qu’elle renaît grâce à l’affection de ceux qui l’entourent, il partage son esprit avec elle, puis entraîne ses compagnons dans la montagne. Devant leurs yeux, un lien inédit se crée entre Ellah et un énorme chien blanc sauvage. Face à tous les bouleversements de sa vie, Inou résiste difficilement. Au matin, le groupe s’ébranle pour rejoindre la maison de Béa, la plus ancienne amie d’Inou. De là, ils décident une visite chez Tournel pour obtenir de lui d’éventuels renseignements sur le fonctionnement de la porte.
Quand un messager leur apprend que la menace est arrivée à proximité de leurs frontières, ils reviennent chez Béa pour y découvrir Kerryen, accompagné de sa demi-sœur, Adélie. Celui-ci en profite pour reprendre Ardan au grand désespoir de la femme, puis identifie entre ses mains un kenda de sa collection. Après un affrontement bref, Ellah défait le garde chargé de le récupérer, puis le confie à Amaury qui le rend à son roi. Alors que Kerryen s’apprête à repartir avec son arme, Ellah la rappelle à elle. Puisqu’elle souhaite la conserver, le souverain lui ordonne d’intégrer sa garnison. Tournel qui a assisté de loin à l’altercation offre à Ellah la traduction d’un précieux parchemin à propos de la porte.
Revenue à Orkys, alors qu’elle surveille la cour remplie de futurs combats, ouvriers, artisans ou paysans, Ellah remarque un jeune garçon qui veut s’enrôler, Raustic. Réalisant que tous ces hommes vont mourir pour rien, elle débarque dans le bureau de Kerryen pour lui suggérer mettre à profit les talents de chacun et, ainsi, éviter leur disparition inutile, mais celui-ci la chasse sans même l’écouter. En dernier recours, elle sollicite l’aide Mukin pour amener le roi à reconnaître la pertinence de ses idées.
Pour avoir désobéi au chef des gardes, Ellah est emprisonnée avec Raustic. Le lendemain matin, quand Kerryen l’apprend, il fait aussitôt libérer les deux captifs. Alors qu’Ellah retourne dans la cour, Amaury la rejoint et lui transmet un message de Mukin. Au même instant, son esprit discerne une grave explosion et, incapable de résister, emprunte Ardan une nouvelle fois. Après avoir prévenu Inou, Amaury se précipite pour la seconder. Croisant sa tante et Béa, Kerryen, frappé par leur attitude comploteuse, se décide à les précéder et se rend chez Mukin par un autre chemin.
Parvenu chez Mukin, le souverain accompagne Ellah et Amaury pour dégager un accès vers la salle effondrée dans laquelle gît le corps du sage. Sans bien savoir comment, Ellah le sauve. Dans le fond de la maison, une étrange ouverture mène par un escalier vers quelques geôles. Dans l’armoire d’une pièce adjacente, elle tombe sur quatre livres dont le premier, un carnet, possède un titre qui la surprend : « Les Portes d’Antan ». En raison de la présence du roi derrière elle, elle ne peut les consulter, mais arrive à subtiliser ce dernier. Alors que Mukin explique les raisons de l’explosion, des expériences sur une substance noire rapportée de ses lointains voyages, Kerryen y voit immédiatement une extraordinaire opportunité pour repousser leurs ennemis.
Malgré ses efforts pour exister, Ellah peine à retrouver ses marques dans ce monde qu’elle redécouvre, de plus en plus sensible à son absence de passé, à son corps meurtri et à son incapacité à envisager un futur, sans parler des informations qui surgissent dans son esprit sans contrôle. Dans la garnison, son intégration dérange et les coups tordus se multiplient.
Au grand désarroi de Kerryen, Allora rejoint Orkys et se révèle d’une aide précieuse dans la planification des défenses du Guerek, tandis que le souverain précise pièges et innovations. Puis, au cours d’un combat dans la cour de la forteresse contre Mukin, Ellah démontre son exceptionnel potentiel, sous le regard admiratif d’Adélie. Observateur lointain, Kerryen la déteste encore plus.
Lors d’une visite à Adélie, la jeune fille parle à Ellah de la magie, mais cette dernière ne sait comment réagir, surtout qu’elle ne maîtrise rien, ni les souvenirs étranges qui reviennent à elle sans choix conscient ni les picotements qu’elle ressent dans les doigts. Préoccupée par son propre sort, elle ne cherche pas à approfondir les mystères qu’elle perçoit dans les propos d’Adélie. Pendant la nuit, elle se rend au col de Brume pour rencontrer Tournel. Une fois, là-bas, l’homme lui explique que le livret qu’elle détient comporte plusieurs langages et qu’il a constaté l’insuffisance de ses connaissances pour le traduire. Cependant, il lui transmet l’original d’un parchemin qu’elle arrive à lire. Son contenu renforce sa décision de retourner à la porte.
Blessée dans un accident, Allora est ramenée au château. Énervée par l’insensibilité de son neveu, Inou reproche vertement à celui-ci sa muflerie. Hanté par les paroles de sa tante, le roi demande Allora en mariage.
Quand Ellah et Amaury atteignent le col, ils apprennent que Kerryen et son escorte sont partis un peu plus tôt vers le Pergun. Alors que les images se précipitent dans la tête de la combattante, celle-ci comprend que l’empereur a envoyé quelques éclaireurs qui ne feront qu’une bouchée de la troupe. Saisissant l’imminence de la menace, elle délègue à Amaury le soin d’aller prévenir la forteresse et dévale la pente. Si elle n’arrive pas à temps pour sauver les gardes, elle se bat aux côtés de Kerryen, soutenue par son chien blanc et l’étalon, puis se débarrasse de l’ultime soldat de Tancral. Dévastée d’avoir tué deux hommes, elle se maudit et ne résiste qu’en raison de la présence de ses animaux, comme de son kenda.
Au pied des fortifications, elle quitte Kerryen pour étudier le marais, puis lui apprend un peu plus tard que leurs ennemis attaqueront le lendemain et que, comme elle, les assaillants voient la nuit. De nouveau à Orkys, elle rejoint la porte qui lui ouvre une petite part de son mystère. Quand Ellah se réveille après un étrange voyage, elle comprend qu’elle ne la franchira plus jamais, refusant de revivre une nouvelle fois une telle épreuve. Alors qu’elle revient, se méprenant sur ses intentions, Amaury l’embrasse et lui propose de l’épouser pour l’empêcher de partir avant de s’apercevoir de l’excès de son comportement. Ellah lui demande de garder son chien, puis retourne au col.
Quand la marée humaine annoncée par Ellah devient visible, Béa, pressée par le temps, déclare sa flamme à Tournel.
Alors que quelques heures précèdent encore l’attaque, le regard d’Ellah erre sur le marais ; elle a oublié l’essentiel. Avec trois compagnons, Raustic, Greck et Jiffeu, elle y descend pour y installer un dernier piège.
Alors que la confrontation avec leurs ennemis débute, un souvenir surgit dans l’esprit d’Ellah. Abattant deux soldats, relais de Césarus, le combat cesse. Ellah sauve Mukin une seconde fois, puis découvre un instant plus tard la mort de son chien qui s’est échappé de la forteresse. Ébranlée par cette perte, elle s’engage dans une mission suicide avant que Césarus ne reprenne la main sur ses guerriers. Accompagnée de Kerryen, elle repart devant la muraille pour faire exploser les barils de poudre. Si le roi retourne derrière la protection temporaire des remparts, Ellah renonce à y rentrer. Cependant, un clapotis étrange la surprend : les hommes de l’empereur traversent le marais. Et une idée jaillit dans sa tête. Bientôt, grâce aux tirs enflammés des archers de Kerryen unis au sien, la totalité de la tourbière s’embrase, brûlant vifs tous les soldats présents. L’armée de Césarus est détournée ; le Guerek a triomphé.
Sans son chien, Ellah ne souhaite plus vivre. Décidant de rendre son kenda à Kerryen, elle rejoint celui-ci dans son bureau et, à la suite d’une discussion animée, escalade la balustrade qui domine la mer Eimée, déterminée à se jeter dans le vide. Mais Kerryen l’empêche de sauter et la ramène dans sa chambre. Ils finissent la nuit ensemble avant de se souvenir que le roi est engagé avec Allora. Pour cet homme, Ellah se donne un sursis, mais, elle n’a pas changé d’avis, la mort l’attend.
Quand Allora de Srill, auprès de qui il s’était engagé, l’a relevé de sa promesse, Kerryen a épousé Ellah. De leur union est née une petite fille, Amylis, et la famille vit heureuse dans la forteresse d’Orkys, capitale du Guerek ou presque… En effet, de son actuelle histoire, Ellah a conservé une grande vulnérabilité à laquelle elle résiste grâce à la présence de Kerryen et de son bébé. Sur le point de fêter le premier anniversaire de la victoire sur Césarus, le château se prépare à accueillir des visiteurs, des proches comme des curieux. De façon contradictoire, Allora annonce son départ du Guerek à Ellah, lui expliquant qu’elle a renoncé à Kerryen, alors qu’elle l’aimait, en raison des sentiments qu’elle avait devinés entre eux.
De son côté, Adélie qui n’a jamais cessé de vouer à la porte une vénération, ce matin-là, se rend devant elle, bercée par une magie conciliante. Parallèlement à un bruit sourd extérieur, un changement d’éclairage la dérange, puis trois silhouettes se dessinent dans la lumière. Les nouveaux arrivants, Pardon et ses enfants, espérant tomber sur Aila, sont déstabilisés par cet accueil imprévu associé à la différence de langage que Tristan ne parvient pas à corriger. La cloche d’alerte sonnée, Kerryen débarque l’épée au poing, bientôt suivi d’Ellah et d’Amaury. Reconnue par les visiteurs, la reine se décompose, tandis que Pardon ne désire plus que repasser la porte pour mettre fin au cauchemar de voir sa femme avec un autre homme.
Dans une pièce plus confortable d’Orkys, la discussion entre les nouveaux venus et Ellah ne se révèle pas pour autant plus facile, principalement en raison du silence de Pardon, dévasté, et celui habituel de Tristan. Ellah leur apprend qu’elle est arrivée presque deux ans plus tôt elle ne se souvient plus de rien. Par politesse, elle les invite cependant à rester aussi longtemps qu’ils le souhaitent. Alors que Pardon désire uniquement fuir cet endroit, Naaly obtient un délai pour renouer avec sa mère. Montant dans les étages, elle la retrouve dans sa chambre et se découvre une petite sœur, Amy ou plutôt Amylis.
Pendant ce temps, perturbé par les propos échangés, Tristan se promène dans la forteresse, se posant des questions auxquelles personne d’autre que lui ne semble songer. Où sont-ils et quand ? Avant de rejoindre son père, Naaly redescend dans les sous-sols et observe quelques mouvements de troupes souterrains. Le trio réuni, ses membres envisagent de repasser la porte, mais Ellah les invite à fêter avec eux le premier anniversaire de la victoire du Guerek, permettant du même coup à Tristan d’associer les pièces ; il comprend qu’ils ont atterri dans la forteresse du Guerek qu’ils ont connue en ruines, le jour même où celle-ci a été attaquée. Pressé par l’urgence, grâce au retour d’un léger contrôle de la magie, il parvient à partager les pensées, contournant la barrière de la langue. Ainsi, Kerryen apprend que sa cité sera totalement détruite et que son roi finira les os brisés. Cependant, Tristan leur explique que le passé précédent peut avoir été modifié par la venue d’Ellah et, que le déroulement des événements actuels peut différer du premier. Au même moment, Naaly parle des mouvements observés dans les sous-sols et l’alerte est donnée : le château est attaqué par l’intérieur, mais aussi par l’extérieur. Pardon et Naaly accompagnent Kerryen pour défendre le lieu, tandis qu’Ellah met Amy à l’abri. Quand Inou réalise l’absence d’Adélie, Tristan se propose de partir la rechercher. Sa fille en sécurité, la reine rejoint les combattants dans la cour. Malheureusement, la forteresse apparaît perdue. Organisant la fuite du personnel par le souterrain, les yeux d’Adélie se posent sur Pardon qui a généré chez elle des sentiments inédits, pendant que ce dernier, définitivement éprouvé, découvre le bébé du couple. Alors qu’ils atteignent la salle de la porte, Kerryen annonce à Ellah qu’elle doit suivre son ancienne famille en raison du pacte qui l’oblige à respecter un vœu unique de sa part. Malgré sa colère, elle ne peut refuser et, sa fille dans le bras, passe les ondes avec Pardon et ses enfants. Dès cet instant, Kerryen ordonne à ses hommes de la détruire.
Bonneau vint réveiller Aila le lendemain matin.
— Prête ?
Elle hocha la tête, tandis qu’il tirait de son pourpoint quatre lettres qu’il lui tendit.
— Tu as raison et je te soutiendrai jusqu’au bout.
— Merci, dit-elle simplement.
Habillée, elle sortit dans la cour où son oncle l’attendait. Ils partirent ensemble, sans échanger le moindre mot. Juste sur le point de parvenir au champ d’entraînement, il rompit le silence :
— Tu ne disposeras que d’une seule arme personnelle. J’ai préparé ton kenda et je te le donnerai le moment venu.
Elle hocha la tête, puis ils se mêlèrent à la foule impatiente, avant de rejoindre les autres concurrents. Arrivée parmi les élèves de Barou, Aila sentit leurs yeux sur elle, mais elle perçut moins d’hostilité que ce qu’elle escomptait. Elle soutint tous les regards qu’elle croisa, se gardant d’afficher la moindre lueur de défi. Elle attendait juste la suite des événements.
Le son d’un cor retentit et le silence s’installa dans l’assemblée. Elieu prit la parole :
— Les joutes se poursuivent aujourd’hui entre les onze meilleurs combattants sélectionnés par Barou. Je vous rappelle les noms des gagnants de la course d’hier : Émelin Gingon, Arist…
Aila intervint :
— Monseigneur !
Elieu s’arrêta, tandis que tous les regards se focalisaient sur elle.
— Je sollicite la faveur d’être réintégrée à la première place qui était la mienne.
Le châtelain, gêné, se tourna vers le maître d’armes qui ne bougea pas.
— J’entends votre demande, Aila, mais je ne puis y répondre favorablement, n’ayant pas obtenu l’assentiment de votre père.
Aila affronta Barou, lui adressant directement la parole :
— Barou, que vous le vouliez ou non, je participerai à cette joute. Je vous offre la liberté de me laisser concourir en me donnant votre permission ou celle de souffrir parce que vous ne me l’accorderez pas. Que choisissez-vous ?
L’intransigeant maître d’armes conserva la même fixité.
— Très bien, vous empruntez la route la plus douloureuse. Que tous ici soient témoins du fait que j’ai cherché à vous épargner ! Par les fées, je fais appel à une loi ancienne et encore en vigueur, le « Patrico Determago », je désire changer de père !
Autour d’elle, l’assistance s’anima. Rares étaient les gens qui avaient entendu parler de cette loi, mais Barou, oui. Pour la première fois de sa vie, il tourna son visage incrédule vers la jeune fille et croisa brièvement son regard avant de s’en détourner. Le mage du roi, l’homme à la barbe blanche, intervint, tandis que les murmures de la foule se calmaient.
— Je suis le mage Orian. Je connais cette loi et je détiens le pouvoir de la faire appliquer. Sais-tu les documents que tu dois me fournir ?
Serrant les dents pour ne pas trembler, Aila répondit :
— Oui, mage royal. J’ai besoin de quatre témoignages de proches qui allèguent que celui qui m’a donné la vie ne m’a pas aimée, ne m’a pas protégée et qu’il n’a jamais participé en aucune façon, pas même financière, à mon éducation.
— Je vois que tu connais la loi, Aila Grand. Ta mère est décédée aujourd’hui, et tu n’ignores pas que, parmi les quatre déclarations, il me faut la sienne qui dénonce le comportement de ton père actuel ?
Aila se maîtrisa davantage tant elle sentait la tension lui étouffer la poitrine, mais elle tint bon.
— Je le sais, mage royal. Elle était au courant et avait écrit ses dernières volontés, avant sa mort, en présence de témoins qui pourront tous confirmer sa validité.
— Elle ment ! hurla Barou.
Subitement, il perdit le contrôle de la situation et explosa :
— Elle ment ! Jamais ma femme ne m’aurait trahi de la sorte ! Jamais !
Le regard sévère d’Orian l’invita à se reprendre, ce qu’il réussit au prix d’un effort considérable.
— Apporte-moi les documents, jeune Aila.
Portée difficilement par ses jambes, elle s’avança vers lui, saisit les lettres dans son gilet, puis les tendit au mage.
— Sais-tu également qu’en changeant de père, tu renonces définitivement toute prétention sur l’héritage auquel tu aurais pu légitimement prétendre ?
— Non, je l’ignorais, mais ma détermination n’est en rien modifiée.
— Et que ton frère deviendra ton cousin ? poursuivit Orian.
Elle ne l’avait pas réalisé non plus.
— Qu’importe, frère ou cousin, ce qui compte est ce que nous partagerons.
Étrangement, perdre son unique frère constitua ce qui lui coûtait le plus…
— Que les autres témoins avancent vers moi !
Hamelin et Mélinda se regardèrent avant de se rapprocher du mage royal, tandis que Bonneau fendait la foule vers Aila. Tous jetèrent un coup d’œil plus ou moins rapide vers Barou dont la colère s’amplifiait visiblement.
— Présentez-vous, je vous écoute.
Bonneau prit la parole :
— Je m’appelle Bonneau Grand, le frère de son père. J’assistais sa mère lors de la rédaction de sa lettre. Je soutiens la requête d’Aila. Je certifie que son père n’a jamais aimé, protégé sa fille ou subvenu à ses besoins. Je suis le premier témoin.
Mélinda lui succéda :
— Et je suis le second. J’appuie la demande d’Aila. En tant que châtelaine du comté d’Antan, je me tenais aux côtés de mon amie quand elle a rédigé cette lettre. Je confirme que son père n’a jamais aimé, protégé sa fille ou subvenu à ses besoins.
Barou se décomposait au fur et à mesure que sa colère tombait, muée en incompréhension totale. Hamelin termina :
— Je suis le troisième témoin. Comme mage de ce château, je fus présent lors de la rédaction de la lettre par sa mère. Je supporte Aila dans sa requête. J’atteste que son père n’a jamais aimé, protégé sa fille ou subvenu à ses besoins.
Le mage royal hocha la tête gravement.
— J’ai entendu vos témoignages. Je n’ai plus qu’à vous donner lecture de la lettre de la défunte :
Moi, Efée Grand, mère d’Aila Grand et épouse de Barou Grand, soutient la requête de ma fille Aila contre son père. J’affirme que son père n’a jamais aimé, protégé sa fille ou subvenu à ses besoins.
Barou secouait la tête, les épaules affaissées. Le mage royal se tourna vers lui.
— Barou Grand.
Le frère de Bonneau leva vers lui des yeux dévorés de chagrin.
— Vous êtes un grand homme dont le courage et la valeur sont reconnus de tous et vous avez su gagner l’estime de chacun par votre bonté. Même le meilleur d’entre nous peut commettre une erreur et il apparaît indubitablement que vous en avez accompli une envers votre enfant. Sa demande soutenue par celles de quatre témoins, dont sa mère, votre femme, me paraît légitime et j’accède à sa requête.
Il se tourna vers la jeune fille.
— Damoiselle Aila, je vous libère de la tutelle de Barou Grand. N’étant pas majeure, je me dois de vous trouver un autre père. Avez-vous choisi une personne ou dois-je me substituer à vous ?
Elle pivota vers Bonneau et reprit, la voix tremblante :
— Mage royal, ma mère m’a confiée à mon oncle qui, depuis, m’a apporté tout ce qu’un père doit donner à ses enfants : l’amour, l’attention, le partage. Il a subvenu seul à mon éducation et tout ce que je possède aujourd’hui, ce sont ses mains et son cœur qui me l’ont offert. S’il y consent, je le voudrais comme père, car c’est la meilleure personne que je connaisse.
Elle se rapprocha de Bonneau qui lui sourit, avant de se tourner vers Orian.
— Mage royal, je me suis occupé de cette jeune enfant depuis sa naissance et je l’ai élevée depuis la mort de sa mère. La vie ne m’a jamais offert de plus beau cadeau, j’accepte avec joie de devenir ce que j’ai toujours été pour elle : son père.
Orian les regarda.
— Alors, qu’il en soit ainsi ! De par les fées, je déclare solennellement qu’Aila Grand, fille de Barou Grand n’est plus. Aujourd’hui, elle devient Aila Grand, fille de Bonneau Grand. Cette décision sera consignée dans les registres du château et validée par les signatures et cachets d’Hubert et d’Avelin d’Avotour, fils du roi Sérain d’Avotour, ici présents.
Bonneau prit sa fille dans ses bras, tandis qu’un tonnerre d’applaudissements retentissait tout autour d’eux. Les combattants de Barou se sentaient mal à l’aise. Fidèles à leur maître d’armes, ils avaient compris, pour la plupart, le message du mage : même le meilleur des hommes pouvait se tromper… C’était l’erreur de Barou, sûrement la seule et l’unique, mais de taille et il devait l’assumer.
— Reprenez, sire Elieu. Nous ne devons plus accumuler de retard, intervint Hubert.
— Bonneau, acceptez-vous que votre fille participe aux joutes ?
Le nouveau père d’Aila éclata de rire :
— Il ne manquerait plus que je dise non ! Je la forme à cela depuis son plus jeune âge ! Alors oui ! Mille fois oui !
Une salve d’encouragements ponctua ses propos. D’une façon bizarre, la journée la plus difficile de la vie d’Aila devenait celle de sa consécration. La tension était retombée, elle se sentait toute à la fois vidée et apaisée. Elle appréciait l’engouement de la foule à son égard, toute à sa joie que Bonneau fût enfin son père et surtout que tout fût terminé. Une ombre passa sur son cœur quand elle pensa à Aubin. Pourvu qu’elle ne le perdît pas… Elle leva la tête, le cherchant des yeux sans l’apercevoir. Barou avait également disparu. Mélinda et Hamelin se rapprochèrent d’elle et de Bonneau pour les féliciter, leurs expressions mélangeant résignation, tristesse et gaîté…
Elieu se racla la gorge pour reprendre contenance :
— Voici donc, dans l’ordre, les cinq cavaliers vainqueurs de la course d’hier : Aila Grand, Émelin Gingon, Aristide Héran, Aubin Grand, Aimé Faller. Ils vont rejoindre leur équipe, celle des meilleurs combattants qu’Avotour n’ait jamais formés et prouver leurs valeurs. Les joutes seront réparties sur les épreuves suivantes : tir à l’arc sur cibles fixe et mouvante, duels à l’épée, puis au corps à corps et, enfin, avec un instrument de combat de votre choix. Nous avons imparti un temps limité à certaines d’entre elles. Vous devrez démontrer votre résistance, votre maîtrise des armes, votre aptitude à vous défendre et à attaquer. Commençons par la première avec le tir sur cible fixe. Que les meilleurs gagnent !
Le groupe d’adversaires partit vers le pas de tir. Ils se placèrent par ordre d’arrivée, tandis qu’Aila, traînant en arrière, cherchait Aubin des yeux sans le trouver. Son cœur frémit. Par sa faute, il allait rater le début de la joute…
— Qui manque à l’appel ? questionna Hubert après un rapide décompte des présents.
— Aubin Grand, le fils de Barou, répondit Elieu.
— Alors, nous débuterons sans lui, reprit le prince.
— Non ! S’il vous plaît ! Sa situation mérite attention… Donnez-lui une chance d’arriver ! Peut-être pourrions-nous envoyer une personne le chercher, supplia Aila.
Le regard froid du prince se posa sur elle quand une voix leur parvint, détournant Hubert des mots qu’il allait prononcer.
— Inutile, me voici. Me permettez-vous de participer malgré mon retard, Prince Hubert ?
— Installez-vous. Que le tournoi commence !
Aila ressentit un immense soulagement en entendant Aubin, mais un coup d’œil lui suffit pour comprendre que plus rien ne serait comme avant : il lui tournait ostensiblement le dos. Sa vie avait vraiment basculé en ce jour. À quelles autres conséquences, ignorées aujourd’hui, allait-elle devoir encore faire face demain ? Elle chassa ses préoccupations pour se concentrer. Elle excellait au tir à l’arc et rien ne devait la distraire. Parmi les concurrents, qui donc jugeait-elle susceptible de lui poser des problèmes ? Aubin, naturellement, l’un des meilleurs dans cette discipline, elle n’oubliait pas qu’il lui avait appris à tirer et offert son premier arc. Figuraient aussi Aristide Héran et Aimé Faller dans les gagnants de la course, mais la proportion d’archers de valeur baissait chez les nouveaux exceptés Adam Meille, Tristan Karest et Pardon Juste peut-être. Les autres n’accompliraient pas de miracles, elle le tenait désormais pour acquis. Son tour approchant, Aila fixa son attention sur la cible, occultant toute distraction. Les résultats des concurrents précédents étaient tout à fait ceux escomptés, excepté la découverte d’un adversaire de taille inattendu : Pardon Juste avait plus que brillé… Il serait un rival intéressant sur des cibles mobiles.
Enfin, son tour arriva pour le premier test : cinq cibles de plus en plus éloignées et une flèche pour chacune d’entre elles. Dans cette épreuve non minutée, Aila prit son temps. Elle encocha sa première flèche, inspira et expira longuement, banda son arc et lâcha la corde. Elle suivit du regard la trajectoire de son trait et sourit quand il se planta au milieu du cercle. Les quatre suivantes réussirent leur parcours vers le cœur des cibles, sans l’ombre d’un écart. Deuxième test : cinq carrés de la largeur d’une main, placés à des hauteurs différentes et toujours cinq essais. Là encore, l’épreuve ne lui posa aucun problème. Cependant, son ultime flèche légèrement décentrée la mécontenta. Elle se promit d’accroître sa vigilance, ce genre de détail pouvait coûter une victoire… Aubin, le dernier à passer, réussit avec une facilité déconcertante, prouvant une fois de plus son excellence au tir à l’arc.
Pour la joute suivante, les concurrents se partagèrent en deux groupes, tirant une pièce de bois coloré dans un chaudron. Deux personnes de jetons de même couleur se retrouvaient à combattre ensemble. Pour son plus grand désespoir, Aila tomba sur Hector Plantu, un jeune homme gigantesque : pas loin de deux mètres de haut, des muscles en acier et une tête d’idiot du village qui ne lui rendait pas justice. Elle l’avait souvent observé et connaissait son unique défaut : il n’en présentait aucun. Néanmoins, le fait qu’elle évitait le combat contre Aubin la soulagea sincèrement, c’était déjà ça. Elle profita du temps qui lui restait avant la rencontre avec Plantu pour analyser tous ceux qui combattaient et ainsi parfaire ses connaissances sur chacun d’eux. Elle repérera la fragilité d’Aimé Faller dans la protection de son flanc droit, les enchaînements bien rodés d’Adam Meille qui alternait attaques et parades, rehaussées par une inventivité débridée, lui permettant de s’en sortir facilement. Elle engrangea tous ces petits détails avec minutie, prête à les utiliser, le cas échéant…
Quand vint son tour contre Hector Plantu, Aila pensa que limiter les dégâts représentait la meilleure solution, à moins que… Ils se placèrent face à face et, dès le signal du départ, elle entreprit de faire tournoyer son épée au-dessus d’elle, guettant la réaction de Plantu. Elle observait le mouvement de ses yeux, tandis que le sifflement de son arme rythmait le combat à peine commencé. Dès que la lame passa derrière la tête d’Aila, il se fendit pour attaquer, mais elle avait déjà anticipé sa manœuvre et, pivotant sur elle-même, tout en se déplaçant, elle le frappa sur le flanc gauche. Poursuivant sur sa lancée, elle se dressa dans son dos, l’obligeant à se retourner pour se retrouver face à elle. Les yeux d’Hector Plantu jetaient des éclairs. Pas le moindre instant il n’avait pensé que cette fichue gamine pourrait le toucher et il en fulminait de rage et de dépit. Comme Aila l’espérait, il avait péché par excès de confiance, lui dévoilant la brèche dans laquelle elle s’était aussitôt engouffrée. Comme quoi sous-estimer un adversaire que l’on n’avait jamais vu combattre affaiblissait la capacité de défense. En dépit de son assaut réussi, en face de l’excellent épéiste qu’elle affrontait, Aila se contenta de résister vaillamment jusqu’aux dernières minutes du combat. Ce fut alors qu’une idée folle surgit dans son esprit… Elle évalua la hauteur du grand gaillard, la dureté du terrain, l’élasticité de sa lame et réfléchit à la façon de la planter dans le sol pour s’en servir comme de son kenda. Elle allait tenter le coup, jouant à quitte ou double. Cinq pas d’élan pour se rapprocher de Plantu, enfoncer l’arme, mais pas trop et s’appuyer dessus pour s’élever dans les airs dans un saut pendant lequel elle pivota modérément. « Surtout ne lâche pas l’épée ! », songea-t-elle, comme une prière. Elle sentit quand la lame résista pour ressortir du sol dans lequel elle s’était plantée, puis le moment où, enfin, elle céda à l’action exercée sur elle. Aila resserra sa prise sur le pommeau tout en maîtrisant son mouvement pour parvenir sur les épaules de Plantu, alors que l’acier se dégageait de la terre sans trop déséquilibrer son envol. Son adversaire se retrouva soudainement chevauché par la jeune fille, le tranchant sur la gorge, tandis que le gong de fin retentissait. Aila lâcha son arme et descendit avec souplesse des épaules du perdant. Il lui jeta, cette fois-ci, un regard haineux et s’en fut, dédaignant la main qu’elle lui tendait pour le salut rituel.
— Concurrent Plantu, recommanda sèchement Avelin, je vous invite à aller saluer votre partenaire comme vous le devez.
Plantu oscilla l’espace d’un instant avant d’obéir à son prince, retournant donner une poignée de main, la plus brève possible, à Aila qui demeura impassible.
— Concurrent Plantu, intervint à nouveau Avelin, inutile de vous représenter aux joutes suivantes, je vous raye dès maintenant de la liste des participants. Pour moi, il est hors de question de prendre un combattant qui ne respecte pas son adversaire, ne serait-ce que pour son adresse…
Hector Plantu, rouge de honte, hocha la tête, puis s’inclina en s’éloignant, penaud.
— Ultime épreuve de la matinée au pas de tir ! informa Elieu.
Aila soupira. Encore une ce matin…, et la dernière avant de manger, fantastique !
Le tir sur cible mobile ne fut qu’un jeu d’enfant pour Aila. Elle adorait cette traque subtile qui mettait tous ses sens en alerte, qui sollicitait au maximum la finesse de son oreille et son acuité visuelle. Elle jubilait de bonheur et cette joute renforçait son impression de se dédoubler, comme si elle captait le moindre son et détectait le mouvement le plus infime… Là encore, elle observa les concurrents : Aubin et Pardon ressortaient parmi les meilleurs. Ensuite, le déjeuner apporta une coupure bienvenue pour tous. Elle rejoignit la tente dans laquelle les repas étaient servis. Ne se sentant pas à sa place avec les élèves de Barou, son assiette remplie, elle s’écarta d’eux pour manger son contenu. Elle entrevit la silhouette d’Aubin, mais ne leva pas la tête vers lui. Elle voulait encore conserver l’espoir de demeurer son amie à défaut d’être sa sœur ou sa cousine… Elle avait suivi les résultats des joutes et, ravie, elle constata qu’Aubin restait bien placé dans la course. Parmi les gagnants potentiels, les noms d’Adam Meille, de Tristan Karest et de Pardon Juste revenaient souvent dans les conversations. Aila entendait peu le sien, car aucun élève de Barou n’oserait la considérer comme un possible vainqueur sans faire offense à son maître d’armes. Au final, probablement à cause de sa présence trop proche, les discussions paraissaient gênées ou devenaient des murmures alors elle préféra s’éloigner un peu plus.
Un instant, peut-être à cause de la tension vécue et de la fatigue, Aila eut envie de fuir toute cette animation, mais, maintenant qu’elle avait tapé du pied dans la fourmilière, elle se devait d’aller jusqu’au bout. Toutefois, elle ne savait plus si tout ce qu’elle avait désiré en valait vraiment la peine. Elle regarda autour d’elle. Tous les villageois participaient à la fête : enjoués et rieurs, ils pariaient vraisemblablement sur les vainqueurs possibles, jouaient et perdaient tout aussi sûrement. Elle parcourut les visages de ceux qu’elle croisait, un mélange de têtes connues au milieu d’étrangères. La joute avait dû déplacer des gens de très loin. Se fondre parmi eux, disparaître sans laisser de trace, devenir une personne comme les autres, anonyme, quelle tentation… Levant les yeux, elle regarda son château, ceint de murailles imposantes, qui dressait son donjon avec fierté vers le ciel, et réalisa à quel point elle l’aimait. La perspective de sa sélection signifierait qu’elle quitterait tout ce qui avait constitué sa vie jusqu’à présent, et son cœur se gonfla de tristesse à cette éventualité. D’un autre côté, peut-être cela lui permettrait-il de tout reprendre à zéro, de devenir une autre que la fille ignorée du plus grand héros d’Avotour. Sauf si, malheureusement, sa réputation s’étendait au-delà des frontières d’Antan… Égarée dans ses idées, une voix la ramena dans le présent.
— Pardon, Hamelin, je ne vous ai pas écouté…
— J’ai dit que tu paraissais perdue dans tes pensées.
— Mage Hamelin, quel fin observateur vous faites !
— Moque-toi du vieil homme que je suis…
— Jamais, Hamelin ! Je faisais juste semblant et vous avez raison, j’étais perdue… dans mes pensées.
— Tu as vécu de grands bouleversements en très peu de temps et tu es si jeune. Trouver la bonne route représente déjà bien des difficultés à l’âge adulte…
— Avez-vous avez déjà hésité ? Avez-vous déjà eu en face de vous tellement de routes que vous n’avez aucune idée de laquelle choisir ?
— Oui, Aila. Malheureusement, mon expérience ne te servira à rien. Tu maîtriseras ta vie aussi longtemps que tu agiras selon ton cœur. Toutes nos décisions ne sont pas faciles à prendre, comme celle de changer de père, mais une fois engagée sur cette nouvelle route, tu découvres d’autres portes dont tu ne soupçonnais même pas l’existence.
— Même celle de quitter tous les siens ?
— Rien ne t’empêchera de réapparaître lorsque tu le souhaiteras. Ce ne sera pas un adieu, juste un au revoir…
— Serai-je capable de revenir, de me confronter à nouveau à celui qui n’est plus mon père et à cette indifférence que j’ai peut-être convertie en haine !
— Barou a vécu une expérience terriblement douloureuse… Lui non plus ne ressort pas indemne de ce qu’il a engendré. Sans doute, apprendra-t-il de ses erreurs ? Et toi, Aila, crois-tu que tu reviendras telle que tu seras partie ? Bien sûr que non ! La vie se chargera de te transformer en une femme mûre, pleine de sagesse. Peut-être même arriveras-tu à ne plus espérer son amour, car là réside le fond du problème. Théoriquement, tu peux changer de père, il n’en reste pas moins le père dont tu désires être aimée…
C’était si vrai… La subtilité d’Hamelin la touchait au plus profond de son être. Quel enfant ne voudrait pas être chéri par ses parents, d’autant plus quand il n’en a plus qu’un ? Elle avait passé sa vie à rêver de cet amour et, à présent, elle avait perdu son dernier espoir. Cela ne se produirait jamais plus, maintenant. Elle était certaine que seule la haine que Barou éprouverait à son égard permettrait à l’homme de survivre à ce revers…
— Il te reste encore beaucoup de temps pour modifier l’avenir, Aila, ce serait un tort de se fermer à tout espoir. Les fées sont nos alliées. Un jour peut-être décideront-elles de t’aider à y voir clair…
Elle sourit. Elle n’avait jamais compris comment Hamelin, si logique, si rationnel, pouvait croire en elles. Un jour, se souvenait-elle, elle lui avait demandé pourquoi il parlait d’elles comme si elles existaient réellement.
— Allons donc, Aila ! Comment oses-tu douter de leur existence ? Elles vivent là, partout autour de nous, à chaque instant, veillant sur nous comme les êtres invisibles qu’elles sont ! Nous n’avons pas besoin de voir pour croire ! Tu as bien lu tout ce que je t’ai donné sur les fées ! En conséquence, tu sais qu’elles existent !
Elle se souvenait à quel point elle était restée bouche bée devant Hamelin, inflexible ! Lui, si calme, était sorti de ses gonds, donc il était inutile de relancer le débat aujourd’hui.
— Peut-être…, hasarda-t-elle.
La voix d’Elieu qui rappelait les concurrents pour la prochaine épreuve se fit entendre et Aila se leva.
— Que les fées t’escortent où que tu ailles, souffla Hamelin, la voix tremblante.
Elle posa son regard sur lui, surprise par toute l’émotion que le vieil homme dégageait. Elle l’entoura de ses bras avec une immense tendresse.
— Votre souvenir m’accompagnera partout où j’irai et réchauffera ma vie, même en plein cœur du froid, lui murmura-t-elle.
Ils se sourirent et Aila déposa un bisou sur sa joue avant de rejoindre les concurrents.