♣ Extraits gratuits de La saga d'Aila de Catherine Boullery - FANTASY

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La saga d'Aila  fantasy


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Note : 4.6 / 5 avec 283  critiques

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Extrait gratuit d'un des livres de la saga d'Aila offert par Catherine Boullery, auteure de fantasy (autres passages sur Amazon). Excellente lecture ;)

Avant même le départ, l’esprit d’Aila était allé survoler la ville. Elle n’y avait pas perçu de danger immédiat. Elle décida de rester vigilante, balayant constamment le trajet qu’ils devaient emprunter. Leur groupe progressa aisément jusqu’à la place du furet où les représentants de la chaînerie les accueillirent. Aila, sans être conviée à la réunion, pénétra dans la maison avec eux et attendit au rez-de-chaussée qu’elle se finît. Sans écouter, elle se rendit rapidement compte qu’elle n’avait pas besoin d’être au premier étage pour comprendre que la discussion battait son plein avec de sérieuses divergences d’opinions. Elle marcha jusqu’à la fenêtre, vérifiant d’un regard que Lumière patientait sagement dehors. Sa jument et le jeune garde qui la tenait s’étaient pris d’amitié, car, d’un mouvement cadencé de son museau, elle poussait sa main pour obtenir une caresse… Elle sourit quand elle aperçut le soldat rire et la flatter. Aux bruits qui résonnèrent au-dessus de sa tête, elle comprit que la réunion se terminait enfin. Au même moment, une impression de danger imminent lui étreint le cœur. De la fenêtre, où elle pouvait observer sans être vue, ses yeux parcoururent la place sans rien discerner de particulier et, pourtant, le sentiment de péril restait bien réel, s’amplifiant même chaque seconde. Le roi redescendit avec son fils. Ils paraissaient tous les deux sereins, tandis qu’à l’opposé, les membres de la chaînerie étaient plutôt agités. Cela ne les empêcha pas de s’incliner avec respect et de remercier leur suzerain de façon cordiale. Si la discussion avait été âpre et animée, sa conclusion semblait satisfaisante pour les deux parties.
Elle bloqua le passage du roi tout en lui jetant un regard éloquent et murmura :
— Je sors en premier…
Son kenda à la main, elle se planta devant Sérain et franchit très doucement le seuil, se donnant le temps de tout observer. Ne voyant rien de plus, elle finit par céder la place à son suzerain, quand, soudain, tout se précipita. Un carreau d’arbalète fusa et elle n’eut que le réflexe de lancer sa pensée pour le dévier tandis qu’il se plantait dans le chambranle de la porte sur la droite de Sérain.
Elle s’élança en hurlant :
— Faites rentrer le roi !
Dégrafant sa cape d’un geste, elle fonça vers la maison la plus basse de la rue de l’autre côté de l’esplanade et, se servant de son kenda comme d’une perche, s’envola vers le toit sans le lâcher. Elle se doutait que le tireur, encore présent, n’en resterait pas à un essai raté. Surpris par la rapidité de l’arrivée d’Aila, il jeta son arbalète et se mit à courir sur les tuiles bancales. Elle le poursuivit et, rapidement, ils se retrouvèrent face à face, sur un toit pentu. Le combat s’engagea, Aila avec son kenda, lui, juste avec ses mains et ses pieds. Son agilité extraordinaire décontenançait Aila qui n’avait jamais vu une souplesse si féline combinée à une détente aussi phénoménale… Même Bonneau ne développait pas une telle puissance. Ils se confrontaient, chacun parant les attaques de l’autre sans trouver de failles. Sur la place, la vie s’était figée et tous regardaient la lutte qui se déroulait sur le toit. Aucun des deux combattants ne semblait déséquilibré par sa pente, alors que les tuiles glissaient en permanence sous leurs pieds, avant de finir brisées sur le sol. Aussi vif qu’un chat, l’assassin fit soudain volte-face et, prenant son élan, sauta sur la toiture de la maison de l’autre côté de la rue. Utilisant son kenda, Aila vola derrière lui, ne laissant aucun répit à son adversaire, tandis que celui-ci fuyait de toit en toit, s’éloignant progressivement de la place. Tout à coup, il disparut à ses yeux. Tous ses sens en alerte, Aila se figea, à la recherche du moindre bruit ou d’un infime mouvement. Elle le sentait tout près, mais, dissimulé, il ne bougerait pas avant son départ ; le perdant serait celui qui renoncerait le premier et ce fut elle, le roi attendait sûrement son retour. Elle décida de faire demi-tour pour regagner la place. La traversant au pas de course, elle se rapprocha de la maison où Sérain avait été mis en sécurité, la foule se resserrant autour d’elle. Peu après, quelques acclamations timides, puis franches la remercièrent d’avoir sauvé le roi ou la félicitèrent pour son combat. Écartant avec gentillesse les gens qui se pressaient à ses côtés, elle se fraya un passage jusqu’à la porte. Elle saisit sa ceinture sur Lumière et pénétra dans la demeure.
— Quelqu’un est-il blessé ? interrogea-t-elle en entrant, les yeux aveuglés par la transition brutale du soleil à la pénombre.
— Oui, père, répondit la voix d’Avelin.
Aila sentit son cœur bondir dans sa poitrine. Elle croyait pourtant avoir dévié le carreau ! Le jeune prince s’écarta et elle découvrit le bras entaillé de son suzerain, rien de plus. Elle soupira de soulagement.
— Un des nôtres est parti quérir un médecin, indiqua un membre de la chaînerie.
— Inutile, je m’occupe de soigner le roi. Pourriez-vous mettre une pièce tranquille à notre disposition ?
— Par ici, venez, la guida un autre homme.
Elle s’approcha du roi.
— Vous sentez-vous capable de vous lever ?
— Sans aucun souci, répondit-il, en joignant le geste à la parole.
Ils se retrouvèrent dans une petite chambre lumineuse à l’arrière de la maison. Elle enleva le tampon en tissu qui cachait la blessure et découvrit une coupure moyennement profonde.
— Avelin, quelqu’un a-t-il récupéré le carreau ?
— Non, je ne le pense pas.
— Mettez des gants, arrachez-le et ramenez-le-moi. Je dois vérifier s’il n’est pas enduit de poison.
Avelin sortit aussitôt. Aila s’assit près du roi, prenant le temps d’examiner la plaie. Quand le prince revint avec le carreau, elle s’en saisit, commença par le humer, puis le fit jouer dans la lumière :
— Je n’observe ni odeur ni trace. Bonne nouvelle ! Il était juste destiné à tuer sans vous empoisonner.
Elle sortit sur la table plusieurs flacons, une bande et un tampon. Un sourire taquin sur les lèvres, Avelin lui tendit une bouteille d’alcool qu’il avait cachée derrière son dos.
— Excellente idée ! s’exclama-t-elle.
Elle s’en versa sur les mains pour les nettoyer, puis vérifia attentivement la plaie.
— Elle est bien nette, il me reste à la suturer. Comme je n’ai jamais aimé coudre, je vais utiliser des insectes munis d’une pince fine et très résistante, une trouvaille d’Hamelin, le mage de mon comté.
Plaçant le bras du roi dans la lumière, Aila commença son laborieux travail et ne se redressa que lorsqu’elle eut fixé une quinzaine de petites pinces. Elle appliqua ensuite un onguent à l’odeur âcre sur le bord de la plaie, sans contact direct avec elle, puis massa la peau en mouvements circulaires.
— Cela devrait permettre d’éviter une infection. Je referai votre pansement ce soir.
Elle termina en versant quelques gouttes d’un liquide jaune sur l’entaille pour limiter la douleur, avant d’apposer le tampon et d’enrouler le bandage. Le souverain avait observé un profond silence pendant toute son intervention. Elle rangea son matériel avec application, puis elle s’agenouilla devant lui, tête baissée :
— Mon roi, j’ai échoué à vous protéger et l’assassin m’a échappé…
Les mots suivants se bloquèrent dans sa gorge. Elle attendait la sentence qu’elle méritait.
— J’aurais aimé, chère Aila, que vous fussiez là quand ma femme et ma fille ont été tuées. J’ai la certitude que, sous votre protection, la mort ne nous aurait pas séparés…
Elle n’osait pas relever la tête, doutant du sens des paroles du souverain.
— Aila, regardez-moi.
À contrecœur et la gorge nouée, elle leva son visage.
— La vie devrait m’avoir quitté à présent. Cependant, grâce à vous, je m’en sors avec une plaie bénigne. De plus, vous devez avoir des doigts de fée, car la douleur s’est évanouie au contact de vos mains. Pour ce qui est de la fuite de celui qui a voulu me tuer, aucun de mes soldats, même le meilleur, n’aurait pu le rattraper et encore moins lui résister. De ma position, j’ai assisté à votre affrontement, stupéfiant, c’est le moins que l’on puisse dire… Je n’avais jamais vu un de mes hommes se battre de cette façon… De forces égales, il semble légitime que ni l’un ni l’autre n’ait eu le dessus dans ce combat. Cependant, pour moi, vous avez gagné, car je suis en vie. Pour conclure, j’ai hâte de mesurer les progrès d’Avelin au kenda ! Nous rentrons et je vous fais grâce pour ce soir d’une autre démonstration, mais demain, pas question d’y couper, nous nous rendrons tous au manège !

Quel drôle d’après-midi… ! Songeuse, Aila regardait les branches brûler dans la cheminée de sa chambre. Depuis toute petite, elle avait toujours adoré cela. Tout y était une source d’apaisement comme le crépitement du bois sous l’effet de la chaleur. Elle adorait l’entendre siffler, gémir ou craquer dans l’âtre. Et puis toutes ces flammes mouvantes la fascinaient. Comme des êtres doués de vie, elles dansaient, virevoltaient, parées de leurs couleurs chaudes et chatoyantes. Ses yeux rivés sur elles, Aila ne bougeait plus. Bientôt, pourtant, elle devrait aller vérifier la blessure du souverain et, avec un peu de malchance, le roi devait déjà l’attendre dans son bureau. Elle finit par se secouer et attrapa sa ceinture.

Comme le jour précédent, Sérain, lui aussi, avait le regard perdu dans les flammes de sa cheminée quand elle entra, et elle en sourit. Qu’importait la position sociale, roi ou paysan, le feu exerçait le même attrait sur les rêveurs éveillés… Elle s’approcha doucement, hésitant à signaler sa présence, et sortit de sa ceinture ce dont elle avait besoin, guettant une réaction de roi, qui tardait à venir. Enfin, il parla :
— Comment avez-vous détourné la flèche qui filait droit vers mon cœur pour qu’elle achevât sa course en effleurant juste mon bras ?
Elle ne s’était pas attendue à cette question. Elle ne sut que répondre. Sérain leva les yeux vers elle et les plongea dans les siens comme s’il voulait lire au fond d’elle-même. Elle finit par se lancer :
— Je crois que je l’ai déviée par la pensée, mais je n’en suis pas sûre…
— Et que faites-vous d’autre dont vous n’êtes pas sûre ?
Aila avala péniblement sa salive :
— Par les pensées, je survole les lieux où je vais, je ressens le danger… Je crois que c’est tout.
Elle faillit ajouter « mais je ne suis pas sûre ».
— Combien de lieux avez-vous survolés ?
— Deux. La première fois, quand les mercenaires de Bascetti nous ont attaqués. Et la seconde, aujourd’hui.
— Et en ce qui concerne le déplacement des objets ?
— J’ai planté cinq flèches en même temps dans le cœur de cinq hommes différents…
— Et quand vous vous battez au kenda ?
Surprise, elle fronça les sourcils :
— Vous croyez que là aussi, ce…, elle hésita, ce n’est pas tout à fait moi ?
— Je l’ignore, Aila. Mais vous nous donnez une impression d’être un oiseau. Vous volez dans les airs. Alors, je m’interrogeais…
Elle secoua la tête.
— Cela a toujours été ainsi, je ne l’ai jamais envisagé autrement…
Les questions l’avaient sérieusement ébranlée. Qu’est-ce qui lui arrivait ? Elle sentit les larmes monter à ses yeux, mais se força à rester impassible sous le regard du roi.
— Tous ces talents que vous développez sont donc nouveaux ?
Elle hocha la tête, sans répondre à l’interrogation.
— Et vous les utilisez quand vous le désirez ?
— Non, je ne contrôle absolument rien. Je suis incapable de déplacer le moindre objet dans cette pièce à l’instant où nous parlons. Toutefois, dans l’urgence, je ne réfléchis pas et cela se réalise malgré moi.
Aila se sentait le désespoir monter de plus en plus. Qu’allait penser le souverain de ces étranges talents qu’elle ne dominait pas ?
— Occupez-vous de mon bras à présent. Voyons si la plaie guérit comme vous le souhaitez.
Elle se rinça les mains, défit le pansement, ôta le tampon et tâta avec douceur la blessure qui, en quelques heures, s’était nettement cicatrisée. Elle fut la première surprise et en fit part au roi :
— Votre entaille se referme très vite. À ce rythme, vous n’aurez plus longtemps besoin de mes services. Il faudra veiller, lorsqu’elle sera moins sensible, à bien masser la cicatrice pour qu’elle retrouve une certaine souplesse.
Elle promena ses doigts délicatement sur les chairs, ajoutant onguent et désinfectant.
— Panser de petites plaies fait aussi partie de votre panoplie de talents ?
Elle leva vers lui ses yeux, la bouche entrouverte, elle ne savait que répondre :
— Non ! Enfin, je ne crois pas. Je n’ai rien accompli de particulier…
— Mais vous avez bien déclaré que ma blessure guérissait plus vite que la normale ?
— Oui, mais…
Ce fut trop. Les larmes se mirent à couler sur les joues d’Aila sans qu’elle pût les contenir.
— Pourquoi pleurez-vous ?
— J’ai l’impression de devenir folle, lâcha-t-elle dans un souffle, incapable d’en dire plus…
— Je suppose que l’on a de quoi être déstabilisé lorsqu’on réalise des choses que l’on ne comprend pas soi-même. Mais vos actions se révèlent bénéfiques ! Vous m’avez sauvé, ne l’oubliez pas ! Et, même si cela vous dépasse, vos aptitudes se manifestent toujours de la bonne façon au bon moment. Cela devrait vous rassurer. Vous ne savez peut-être pas ce que vous faites, mais vous le faites bien. Personnellement, je suis entouré de conseillers, censés tout maîtriser et qui, pourtant, cafouillent à longueur de temps ! Je pourrais les envoyer prendre des cours avec vous !
Aila esquissa un sourire entre ses larmes.
— Parfois, jeune fille, il faut des mois et des années pour comprendre ce qui nous arrive. Nous restons à nous demander pourquoi et comment. Est-ce vraiment une question primordiale quand on sait que cela marche, sans connaître ni pourquoi ni comment ? D’autant plus que, pendant que nous nous interrogeons sur nous-mêmes, nous ne progressons pas… Or, aujourd’hui, nous n’avons pas le droit de demeurer immobiles et de tergiverser. Nous ne devons pas patienter jusqu’à ce que les événements nous heurtent de plein fouet pour réagir. Notre devoir est de nous préparer et d’avancer. Comme vous, j’ignore ce que je vais pouvoir réaliser pour sauver mon pays. Je ne connais ni la réponse, ni le pourquoi, ni le comment. Mais j’ai décidé de ne pas rester les bras croisés en attendant que l’on vienne me tuer !
Il la regarda avec intensité, puis, prenant le menton de la jeune fille entre ses mains, il continua :
— Un roi se doit de tout savoir. Alors, écoutez bien ce que je vais vous dire. J’ignore d’où proviennent vos dons, mais je suis certain de deux choses : ils ne font pas de vous une folle et si nous arrivons à sortir de tous nos ennuis, ce sera grâce à eux et à l’emploi que vous en ferez. J’en suis convaincu, Aila.
Elle le remerciait d’un signe de tête quand la porte s’ouvrit soudainement. La voix d’Hubert surprit Aila qui sursauta. Lui tournant le dos, elle essuya discrètement ses larmes.
— Père, je vous croyais seul. Je vous présente mes excuses d’être entré si brusquement, mais je venais d’apprendre que vous aviez été blessé et je m’inquiétais.
Sérain se leva et alla serrer son aîné dans ses bras.
— Me voici bien heureux de te revoir. Tout va bien. Je me porte comme un charme grâce à cette demoiselle qui m’a sauvé la vie. Un bon choix que tu as effectué là, mon cher fils, un très bon choix…
Aila vit Hubert rougir légèrement, car, sans la présence du benjamin de la famille, elle n’aurait probablement pas été choisie… En tout cas, pas par Hubert, à ce moment-là…
— Ma blessure, maintenant bien nette, guérit de plus en plus vite. Au fait, jeune fille, je voulais vous poser une question. Pourquoi passez-vous vos mains à l’alcool avant de pratiquer des soins ?
— C’est pour éviter de te carboniser le bras, cher père, expliqua Avelin qui venait de les rejoindre. Ma garde du corps a été très explicite ce sujet, mais, en général, elle choisit la facilité et utilise l’eau-de-vie. C’est plus facile à boire ensuite !
Aila qui, au début de ces propos, avait levé les yeux au ciel, termina en lui jetant un regard revanchard.
— Et plus sérieusement ? renchérit Sérain.
Cette fois-ci, elle répondit directement :
— Hamelin, le mage de mon château et mon père, Bonneau pensent tous les deux que nos mains, quand elles sont souillées, multiplient les sources d’infection pour les plaies. Bonneau l’a souvent observé en soignant les chevaux et moi aussi. Hamelin partage cette opinion et moi, je l’applique.
— Cela me rassure encore plus sur l’évolution de ma blessure. Je vous accorde toute confiance. Allons manger ensemble. Je suis un père heureux de voir réunis autour de moi deux de mes fils, même si j’aurais bien aimé voir le dernier…
Une voix inconnue résonna soudain :
— Me voici, père !
— Adrien, quelle surprise !
Les trois hommes se précipitèrent vers le quatrième qui venait de rentrer et tous se congratulèrent. Aila décida de s’éclipser discrètement, hasardant à peine un coup d’œil au nouvel arrivant. Parvenue à la salle à manger, elle entra et reconnut la silhouette mal à l’aise qui patientait devant le feu. Elle devait avoir la même allure empruntée ce midi.
— Aubin ! s’écria-t-elle, se ruant vers lui.
Ils se jetèrent dans les bras l’un de l’autre.
— Alors, raconte ! Comment vont Barnais et sire Airin ? Comment cela s’est-il passé avec Amandine ? Comment vont-ils tous ?
— Aila ! Arrête-toi une seconde, tu veux, que je puisse avoir le temps de répondre à tes questions ! Tout le monde va bien et a demandé de tes nouvelles. Ils étaient tous soulagés d’apprendre que ta première mission s’était parfaitement déroulée et que tu avais dépassé toutes les espérances. J’ai rapporté des petits présents pour toi de la part de Bonneau, d’Hamelin, de dame Mélinda et d’Amandine. Je te les donnerai après le repas. Pour le reste, tu ne vas pas le croire ! Barnais a…
Aubin s’interrompit soudainement en apercevant les quatre membres de la famille royale qui entraient dans la salle à manger. Aila se retourna pour se retrouver nez à nez avec le fils cadet, Adrien. Elle fut saisie. Il n’était ni particulièrement beau, ni particulièrement quelque chose d’ailleurs, mais il était tout simplement royal. Il possédait les mêmes cheveux noirs que sa mère, mais elle se perdit un bref instant dans ses yeux mordorés qu’elle n’avait jamais vus chez quiconque. Il s’inclina.
— Je tenais à vous remercier d’avoir permis à mon père d’être sain et sauf pour mon retour.
Sa voix et le moindre de ses gestes dégageaient une telle assurance qu’elle resta figée, debout, en face de lui, avant de bafouiller un « je vous en prie ».
Sérain invita tout le monde à manger et l’ambiance qui régna tout au long du repas fut très animée. Les trois frères rivalisèrent d’éloquence pour raconter leurs différentes missions, évoquant tous les détails, des plus insolites aux plus dramatiques tandis qu’Aubin et Aila écoutaient en silence. Même Hubert avait remisé sa réserve habituelle, tout à la joie de partager un moment en famille. Une fois le dîner terminé, elle se retira avec son frère, tandis que le roi et ses fils retournèrent ensemble vers le bureau.
— Où est ta chambre ? questionna Aila.
— Par là, répondit Aubin, en indiquant un couloir sur la gauche.
— Pas de chance, juste à l’opposé de la mienne !
— Oui, mais je suis à côté de celle de sire Hubert, comme toi tu dois te trouver près de celle de sire Avelin.
Elle ouvrit de grands yeux.
— Tu as raison ! Nos pièces doivent être contiguës ou presque. Tu vas te moquer de moi, je n’avais pas réalisé qu’il dormait dans la chambre voisine de la mienne ! Je ne devais pas être dans mon état normal hier soir !
— Comme cela, j’arrive et j’apprends que tu as sauvé le roi ! Tu m’épates, grande sœur ! À croire que l’aventure ne voyage qu’avec toi, car, pour ma part, je n’ai encore utilisé aucun de mes talents ni sauvé qui que ce soit…
Elle déposa un bisou sur sa joue.
— Oh que si ! Moi ! Et cela fait déjà très longtemps…
Elle prit sa main avec tendresse.
— Fais attention, je vais finir par m’habituer à recevoir des bisous ! Et après, tu ne pourras plus t’en dépêtrer ! rétorqua Aubin.
— Même pas grave !
Ils rirent, tellement heureux d’être ensemble, d’autant plus que cette fois, sûrement la première, ils pouvaient se voir détendus, sans l’ombre du désaccord de Barou planant au-dessus d’eux. Ils s’assirent sur le lit d’Aubin. Ce dernier reprit la parole :

— Je te raconte la suite de mes aventures à Antan. Tu ne vas pas en croire tes oreilles. Barnais a beaucoup plu à Amandine, tu l’imagines sans peine. Elle irradiait de bonheur, tandis qu’il affichait une mine sombre, bien qu’il s’appliquât à être le plus prévenant des hommes avec sa promise. Tu connais Amandine. Elle avait beau voler sur son petit nuage, elle s’est vite aperçue que la joie de Barnais n’égalait pas la sienne. Elle est donc allée le trouver et lui en a demandé la raison. Et Barnais lui a tout déballé.
— Ah ! Qu’est-ce qu’il a dit ? questionna Aila, soudainement inquiète.
— Qu’il ne s’était conduit jusqu’à maintenant que comme un coureur invétéré, un homme pédant et futile et qu’il avait décidé de changer, de repartir à zéro. Il a ajouté qu’il avait beaucoup été touché par l’accueil qu’elle lui avait réservé, par sa gentillesse et son naturel, mais qu’il ne désirait pas qu’elle apprenne par une autre bouche que la sienne les exploits de sa vie passée et ceci parce qu’il la respectait beaucoup trop. Et après…, s’arrêta Aubin, laissant le suspense s’installer.
— Allez, Aubin, raconte la suite !
— Et après, il lui a dit que si elle ne voulait pas d’un homme comme lui, il la comprendrait et retirerait sa demande en mariage, mais que, pour la première fois de sa vie, il entrevoyait la possibilité de rendre une femme heureuse, de créer une famille et qu’il souhaitait du fond du cœur que cette femme, ce soit elle !
Aila parut soulagée…
— Rassure-toi, il n’a pas parlé de toi et de sa demande en mariage. En tout cas, pas que je sache.
Elle tiqua. Ainsi, Aubin avait découvert que c’était Barnais qui avait cherché à l’épouser…
— Je suppose qu’Amandine a donné son accord malgré tout.
— Tout à fait, les noces sont prévues dans six mois et elle m’a prié de te transmettre son invitation orale. Elle espère ta présence…
— Barnais aura fort à faire avec Amandine et son caractère trempé aussi : une main de fer dans un gant de velours… Tu crois que j’ai bien fait de lui confier Barnais ?
— Bien sûr ! Il va devenir doux comme un agneau… J’ai noté, juste avant de partir, qu’ils filaient le parfait amour ensemble. Peut-être que, finalement, ils vivront heureux…
— Oh ! là là ! Aubin, te voilà philosophe sur l’amour…, et connaisseur avec ça ! Des expériences en mon absence ?
— Aucune, sœurette ! Bon, viens que je te donne les cadeaux que je t’ai rapportés, pour vider mon sac et remplir le tien ! Voici celui de Bonneau, il a dit qu’il pourrait toujours te servir.
Aubin lui tendit un étui avec un poignard qu’elle soupesa avec égard. Elle sortit la lame de son fourreau et la fit miroiter sous la lueur de la lampe, parsemant la pièce d’éclats de lumière.
— Maintenant celui d’Hamelin.
Elle s’attendait à un livre et elle reçut… deux livres ! Le premier racontait l’histoire des deux amants, homme et fée, dont elle pouvait être une éventuelle descendante et s’intitulait sobrement « La véritable histoire d’Eery ». Hamelin avait inscrit une dédicace sur la page de garde : « Les contes ne retracent pas toujours que des histoires, entre leurs lignes parfois la vérité se dissimule… » Le second, un livret de séchage pour feuilles et plantes, elle trouva l’idée intéressante et se promit de classer rapidement celles qu’elle détenait pour les préserver. Elle y mettrait les feuilles d’Herbère données par la châtelaine.
— Tiens, celui-ci vient de dame Mélinda, reprit Aubin.
Aila défit le papier avec soin et découvrit une nuisette qui n’avait rien à voir avec sa grande chemise en coton. Cousue dans une étoffe noire et soyeuse, elle offrait un décolleté vertigineux que seules de fines bretelles soutenaient. Un sifflement d’Aubin ramena la jeune fille à la réalité et, cramoisie, elle la replia vite fait avant de la cacher dans son emballage.
— Elle a dû vouloir prévoir le coup si tu rejouais la promise de sire Hubert ! explosa Aubin dans un éclat de rire.
Elle fronça les sourcils.
— Pas la peine de t’en faire, tout le monde est au courant ! Ce n’est pas sire Hubert qui a vendu la mèche, mais sire Airin, très débonnaire et encore plus bavard ! Ton prince a accusé une drôle de tronche quand le châtelain d’Escarfe s’est mis en tête de raconter tous les détails qu’il connaissait. Heureusement qu’il ignorait tout de ton histoire avec Barnais, sinon elle aurait enflammé les oreilles de ses auditeurs ! Tout le monde sait également que tu portes aussi bien la robe que le kenda, voire mieux, et que tu danses comme une princesse !
Aubin était hilare, tandis qu’elle trouvait tout cet étalage de sa vie privée beaucoup moins désopilant. Rapidement, il constata sa contrariété et, retenant à peine son envie de rire, il poussa sa sœur du coude.
— Ne boude pas, Aila, tous nos commentaires n’avaient rien de méchant. Nous avons seulement échangé quelques blagues comme dans le temps, sans plus, je te l’assure.
Elle lui sourit pour lui faire plaisir, mais tout ceci l’ennuyait. Elle ne voulait pas devenir objet de plaisanteries douteuses devant ses amis.
— Et ton père ? s’enquit-elle, changeant définitivement de sujet.
— Ça va.
— Es-tu au courant de ta prochaine mission avec sire Hubert ?
— Non, pas encore. Et toi ?
— Pas plus. Enfin, je sais juste que, bientôt, je dois partir en Hagan sauver une femme qui s’appelle Amata…
— Et comment l’as-tu appris ?
— J’ai, elle hésita, j’ai eu une vision…
— Une vision ! s’étonna Aubin.
— En ce moment, il m’arrive beaucoup de choses bizarres…
— Comme le coup des flèches dans la forêt ?
Elle le fixa, surprise par sa perspicacité.
— Tout à fait. Comment as-tu opéré le rapprochement ?
— Il me semblait bien qu’ils étaient tombés tous les cinq en même temps. Comme signal de départ, tu ne pouvais guère trouver mieux…
Elle hocha la tête.
— Je ne peux pas t’en dire plus parce que, moi-même, j’ignore ce qui se produit, c’est juste déroutant…
— Je suis ici maintenant, tu n’es plus solitaire pour affronter tout cela…
Elle le serra dans ses bras.
— Aubin, tu es le meilleur des frères !
— Je sais et j’entends bien le rester !
Il réprima un bâillement :
— Mais seulement à partir de demain ! Nous sommes partis très tôt ce matin pour arriver avant la nuit et là, une seule chose compte : dormir…
— Bonsoir, Aubin.
— À demain ! Attends, j’allais oublier de te donner le cadeau d’Amandine !
Aila prit le paquet que lui tendait Aubin ainsi que tous les autres présents et regagna sa chambre où elle y rangea tous ses nouveaux trésors, sauf celui d’Amandine qu’elle ouvrit. Elle y trouva une jolie chaîne qui supportait une petite pierre brillante. Que signifiait ce cadeau ? Elle déplia la lettre qui l’accompagnait et en commença la lecture.

Ma très chère Aila,

Aubin a dû te raconter les derniers événements qui ont occupé ma modeste vie de fille de châtelaine, mais il ne connaît pas tous les détails de l’histoire. D’aussi loin que remontent mes souvenirs, j’ai toujours eu envie de te ressembler. Cela doit te surprendre, car je pense ne jamais l’avoir laissé transparaître. Je t’enviais cette liberté infinie dont tu jouissais : celle de ne pas être une femme étriquée par son rôle. Tu chevauchais, combattais, étudiais et moi, je me contentais d’exécuter ce que l’on attendait de moi. N’y perçois aucun regret, à présent, je suis heureuse d’être ce que je suis et encore plus comblée que Barnais devienne mon mari même s’il t’a adressé sa première demande… Tu vois, cela aussi, il me l’a avoué, et tout le reste… Je sais qu’aujourd’hui, si mon mariage a une chance de réussir, ce sera grâce à toi… Si Barnais m’avait épousé en demeurant comme il était auparavant, je crois que je l’aurais tué de mes propres mains !

Tu es partie trop vite la dernière fois et tu as emporté avec toi mon regret de ne pas t’avoir offert un souvenir de notre amitié. Aubin me permet de réparer cette erreur. J’ai choisi une gemme transparente, légèrement bleutée et scintillante : c’est une aigue-marine ou pierre d’esprit. J’ai trouvé qu’elle t’irait parfaitement ! Je l’ai fait monter sur une petite chaîne pour que tu puisses la porter en te souvenant de moi…

Antan est devenu trop calme depuis ton départ et tu me manques terriblement. C’est seulement maintenant que je réalise la place que tu prenais dans ma vie. Enfin, aujourd’hui que j’ai Barnais, j’aurai moins souvent l’occasion de penser à toi ! Si jamais, dans six mois, tu entends parler d’un beau mariage, c’est le mien, essaie d’y être…

Prends bien soin de toi.
Amandine

Aila reprit la chaîne qu’elle fit tournoyer entre ces doigts. C’était vraiment très joli et elle se sentit extrêmement touchée par le geste d’Amandine. Puis, bâillant comme son frère, elle décidait de se coucher quand on frappa à la porte. Elle l’entrebâilla et se retrouva en face d’Avelin.
 — Je suis désolé de vous déranger si tard, mais je n’avais pas encore trouvé l’occasion de vous remercier d’avoir sauvé père et je voulais m’en acquitter ce soir…
Il la regardait si intensément qu’elle comprit la frayeur qu’il avait éprouvée à l’idée de perdre également son père. Elle frappa doucement son épaule avec son poing.
— Pas de soucis entre amis. Bonsoir, Avelin.
— À demain, Aila.
Elle se glissa entre ses draps, repensa à tout ce qu’elle avait vécu dans cette journée et s’endormit sans toucher le livre des fées, pourtant dissimulé sous son oreiller.


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